pitaine, ce qui ne pouvait tarder longtemps, disait-il, alors il serait mon premier lieutenant à la vie et à la mort. Je pris la chose en plaisanterie, tout en lui disant qu’il était mille fois le bienvenu, et je lui donnai le sobriquet de Commodore, ajoutant que ce serait en cette qualité qu’il serait sur mon bord. Quant à la question pécuniaire, il y avait un sac de dollars dans la chambre, et il pouvait y puiser à volonté. La clef de la cassette serait toujours à sa disposition. Personne ne fut plus content de cet arrangement que Neb, qui s’était pris de passion pour Marbre depuis le jour où celui-ci l’avait amené par l’oreille du fond de la cale du John.
— Ah ça, Miles, quels animaux infernaux avez-vous donc pour passagers ? demanda Marbre en regardant avec curiosité du haut de la hune le trio qui se promenait sur le pont. C’est la première fois de ma vie que je vois un capitaine obligé de grimper au mât pour pouvoir parler en liberté.
— C’est que vous n’avez jamais voyagé avec la famille Brigham, mon ami. Dans vingt-quatre heures, ils sauront toute votre histoire ; où vous êtes né, quand vous m’avez rencontré pour la première fois, quels voyages vous avez faits ; enfin toutes vos aventures, passées, présentes et futures.
— La chose ne sera pas si facile que vous voulez bien le croire. Voyez-vous ; j’ai navigué six semaines avec une vieille fille du Connecticut, et je défierais le plus adroit questionneur à présent.
La conversation se prolongea encore quelque temps, puis nous descendîmes tous, et je présentai Marbre à mes passagers ; après quoi, les choses reprirent leur cours ordinaire. Toutefois, dans le courant de la journée, j’entendis ce court dialogue entre Brigham et Marbre, les dames étant beaucoup trop délicates pour questionner un marin si grossier.
— Vous êtes venu à bord assez inopinément, à ce qu’il me semble, capitaine Marbre ? dit le monsieur en commençant.
— Mais pas du tout. Il y a plus d’un mois que je m’attends à rencontrer l’Aurore, juste à cet endroit.
— Voilà qui est singulier ! Je ne conçois pas comment une pareille chose peut se prévoir.
— Connaissez-vous la trigonométrie sphérique, Monsieur ?
— J’avoue que je ne suis pas fort dans les sciences ; je sais un peu de mathématiques, mais voilà tout.
— Alors il serait inutile de chercher à vous expliquer la chose. Si vous aviez su la trigonométrie, je vous l’aurais démontré aussi clairement que deux et deux font quatre.