Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/360

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nous tombez-vous donc ? Il courait tant de bruits divers sur votre compte que votre apparition ici fera autant d’effet qu’en ferait celle de Bonaparte lui-même. Votre bâtiment est arrivé ?

— Vous savez que nous nous quittons peu, répondis-je en prenant la main qu’il m’offrait ; il n’y a guère que la mort ou un naufrage qui pourrait nous séparer.

— C’est ce que j’ai toujours dit à ces dames : « Vous verrez que Wallingford n’épousera jamais que son Aurore. » — Mais vous avez une mine excellente ; savez-vous que la mer vous va joliment ?

— Je n’ai pas à me plaindre de ma santé ; mais parlez-moi de celle de notre famille, de nos amis ? votre père… ?

— Il est à Clawbonny pour le moment. Vous savez comment il est. Aucun changement de fortune ne l’empêchera jamais de regarder sa petite bicoque d’église comme une cathédrale, et sa paroisse comme un diocèse. Aujourd’hui qu’il n’a plus besoin de tout cela, je voudrais bien — vous sentez que je ne m’aviserais pas de le lui dire à lui-même — qu’il cessât ses prédications.

— Soit ; mais parlez-moi de vous tous maintenant. Je suis d’une impatience !…

— Oui, la patience n’a jamais été votre fort. Eh bien ! vous savez sans doute que j’ai été reçu au barreau ?

— Je n’en doutais pas ; votre noviciat maritime a dû vous être d’un grand secours aux examens.

— Allons, ne parlons plus de mes péchés de jeunesse. J’ai du moins le mérite de n’y avoir pas persisté longtemps. Mais de quel côté allez-vous ? dit-il en me prenant le bras. Si vous remontez la rue, je ferai quelques pas avec vous. Il y a à peine une âme en ville à cette époque de l’année ; mais néanmoins vous verrez prodigieusement de jolies filles dans Broadway à cette heure ; ce n’est pas positivement la première volée ; car pour rester ici dans cette saison, il faut n’avoir pas la plus petite maison de campagne. — Eh bien ! qu’est-ce que je disais donc ? Ah ! qu’on change terriblement en quelques années. Savez-vous bien que tous les goûts, toutes les inclinations de ma première enfance se sont envolés dans les airs ? Rien ne reste des premières années. Notre corps, nos traits, toute notre personne subit les plus grands changements ; comment nos sentiments, nos désirs, nos vues nos affections, nos espérances, resteraient-ils les mêmes ?

— Savez-vous bien, Rupert, que ce que vous dites là n’est pas flatteur pour quelqu’un dont les relations avec vous remontent justement à ces premières années ?