Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/386

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leurs, il s’agissait de la santé de ma sœur ; il fallait étouffer tous les scrupules exagérés : la lettre fut faite.

Neb était parti de son côté sur la Grace-et-Lucie, et le Wallingford appareilla le soir même sur son lest. Je fus plus tranquille après avoir pris ces dispositions, et je me disposai à passer une nuit plus calme. Grace semblait revivre un peu depuis qu’elle avait son frère près d’elle. Quand M. Hardinge lut les prières du soir, elle vint auprès de moi, prit ma main dans les siennes, et se mit à genoux à mon côté. Je fus touché jusqu’aux larmes de cette marque d’affection : on eût dit que c’était comme l’esprit de cette chère enfant, qui, près de s’envoler au ciel, avait peine à s’éloigner de ceux qu’elle aimait sur la terre. Quand elle se releva, je la reconduisis jusqu’à la porte de sa chambre, et je regagnai la mienne après l’avoir tendrement serrée contre mon cœur. Les marins prient peu, moins qu’ils ne le devraient, au milieu des dangers sans cesse renaissants de leur rude profession ; mais je n’avais pas oublié les leçons de mon enfance, et quelquefois je les mettais en pratique. Dès que je fus rentré, je me jetai à genoux, priant Dieu d’épargner ma sœur, et j’appelai humblement ses bénédictions sur l’excellent ministre ; et, nommément, sur Lucie. Oui, je l’avoue hautement, et je plains celui qui aurait le courage de me railler.


CHAPITRE XXIX.


Partout où il y a peine, il faut qu’il y ait consolation ; si votre peine vient de mes chagrins d’amour, aimez-moi : votre peine et mes chagrins finiront en même temps.
Shakespeare.


Je ne vis Grace qu’un moment dans la matinée du lendemain. Depuis quelque temps elle déjeunait toujours dans sa chambre, et dans la courte visite que je lui rendis, je la trouvai si calme que j’en conçus quelque espoir pour l’avenir. M. Hardinge voulut absolument me rendre à l’instant même ses comptes de tutelle, et je ne voulus pas le contrarier, bien que, si j’eusse été libre, je lui eusse sur-le-champ signé une quittance définitive les yeux fermés. Il y avait une particularité singulière dans le bon ministre : personne n’avait jamais moins vécu pour le monde, personne n’était moins propre à exercer pour des intérêts temporels une surveillance étendue qui eût demandé des soins et de la vigilance, personne ne se fût plus mal tiré d’affaires embrouillées ou difficiles ; et cependant, pour de simples