Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/409

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Il n’y avait pas de temps à perdre en réflexions. Une fois que je tins Drewett par les cheveux, j’élevai sa tête hors de l’eau pour qu’il pût reprendre haleine, et par suite de l’effort que j’avais dû faire je coulai moi-même au fond. Il fallut alors lâcher prise pour revenir sur l’eau. J’avais voulu lui donner un moment pour reprendre son sang-froid, dans l’espoir qu’il écouterait ensuite la raison ; et je lui dis de poser ses deux mains sur mes épaules, d’enfoncer son corps dans l’eau le plus possible, et de me laisser faire ensuite. Si la personne en danger suit exactement cette recommandation, un bon nageur peut, sans efforts extraordinaires, la conduire à la remorque pendant plus d’un mille. Mais Drewett, en reprenant haleine, n’avait pas repris sa raison ; seulement il avait recouvré assez de force pour pouvoir se débattre comme un forcené. Sur la terre, j’en serais facilement venu à bout ; mais dans l’eau le plus faible enfant devient redoutable. Que Dieu me pardonne si je lui fais injure ; mais je crus un moment que Drewett savait parfaitement qui j’étais, et qu’il était sous l’influence d’un égarement jaloux. Je puis me tromper, mais ce qui est certain, c’est que je l’entendis murmurer les mots de « Lucie, » de « Wallingford, » de « Clawbonny, » de « rival, » pendant qu’il luttait avec fureur. L’avantage que je lui avais donné en lui laissant mettre ses mains sur mes épaules faillit me coûter cher. Au lieu de se conformer à mes recommandations, il me serra le cou de ses deux bras, et il semblait vouloir monter sur ma tête en s’efforçant de sortir ses épaules hors de l’eau, surcroît de fardeau qui m’y faisait rentrer malgré moi. Ce fut pendant que nous étions dans cette position, lorsque sa bouche était à un doigt de mon oreille, que j’entendis les mots dont j’ai parlé. Il se peut néanmoins qu’il ne sût pas lui-même ce que la terreur et le désespoir lui arrachaient.

Je vis qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et je fis des efforts inouïs. Je cherchai d’abord à nager avec ce poids énorme, mais il fallut y renoncer. L’étreinte de fer qui me serrait la gorge ne me laissait pas la liberté des mouvements. Il n’y avait pas à hésiter : il fallait ou m’en débarrasser, ou me noyer. Renonçant à nager, je saisis ses mains avec les miennes, et je m’efforçai de lui faire lâcher prise. Nous allâmes au fond l’un et l’autre ; car il m’était impossible de maintenir ma tête au-dessus de l’eau, à l’aide de mes pieds seuls, avec le poids que je traînais avec moi.

Je puis à peine décrire ce qui suivit. Je ne songeai plus, je l’avoue, à sauver la vie de Drewett ; je ne pensai qu’à moi. Nous nous livrâmes dans l’eau un combat acharné comme les plus mortels ennemis. Trois fois, par mes seuls efforts, je m’élevai à la surface de l’eau pour res-