Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couperosé, tout marqué de petite vérole, aux traits durs, aux épaules carrées, chez qui rien n’annonçait de la sensibilité. Il en montra néanmoins dès qu’il entendit le nom de mon père. Il cessa ce qu’il faisait, vint tout contre moi, me regarda en face, et ses traits prirent même une expression de bonté.

— Vous êtes le fils du capitaine Miles Wallingford ? demanda-t-il à voix basse, celui qui habitait en haut du fleuve ?

— Oui, capitaine, son fils unique. Il n’a laissé que deux enfants, un fils et une fille ; et quoique je ne me trouve pas dans la nécessité de travailler, je voudrais que le fils unique de Miles Wallingford devînt aussi bon marin et, en tout cas du moins, aussi honnête homme que son père.

Ces paroles furent dites avec une assurance qui dut plaire, car le capitaine me secoua cordialement la main, me dit que j’étais le bienvenu, m’invita à le suivre dans la chambre, et à prendre place à une table sur laquelle le dîner venait d’être servi. Il va sans dire que Rupert partagea toutes ces faveurs. Alors vinrent les explications. Le capitaine Robbins, du John, avait fait son premier voyage sur mer avec mon père, pour lequel il professait une profonde estime. Il avait même été son second, et il parlait comme s’il était son obligé. Il ne me fit pas beaucoup de questions, car il lui semblait tout naturel que le fils unique de Miles Wallingford désirât être marin.

Pendant le dîner, il fut convenu que Rupert et moi nous ferions partie de l’équipage à partir du lendemain matin, et que nous signerions notre engagement dès que nous serions à terre. Je devais avoir dix-huit dollars par mois, la solde des matelots étant alors de trente à trente-cinq dollars. Rupert ne fut coté qu’à treize dollars ; le capitaine Robbins dit en riant que le fils d’un ministre ne pouvait avoir la prétention d’être payé autant que le fils d’un des meilleurs maîtres de bâtiment qui fussent jamais sortis d’un port d’Amérique. Mon nouvel ami était un fin observateur, et rien qu’à la vue il comprit sur-le-champ que Rupert ne serait jamais un loup de mer. Après tout, l’argent n’était guère une considération pour nous, et je m’estimais assez heureux d’avoir trouvé une si bonne place, sans presque avoir eu la peine de la chercher. Nous retournâmes à la taverne, et après y avoir passé la nuit, nous prîmes congé de Neb, qui devait porter à la maison ces bonnes nouvelles, dès que le sloop mettrait à la voile.

De grand matin une charrette avait été chargée de nos effets. J’eus la précaution de ne pas me rendre directement à bord du bâtiment. Au contraire, je suivis une tout autre route, et je fis décharger