Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/75

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lèvres. Pendant ce temps le porc bouillait à gros bouillons dans les marmites.

Tout le monde fut alors appelé pour lever l’ancre. Rupert et moi nous montâmes pour larguer les voiles, et nous ne redescendîmes que lorsque les perroquets volants furent à tête de mâts. En quelques minutes le câble était à pic, et tout était prêt pour déraper. Alors approchait le moment critique de l’opération. Le vent était toujours faible, et il s’agissait de savoir si le bâtiment pourrait doubler un banc de récifs qui commençaient à se montrer au-dessus de l’eau et sur lesquels les lames longues et pesantes qui venaient du sud-ouest en ondulations régulières, se brisaient avec une violence qui montrait toute la puissance de l’Océan, même dans ses moments de calme et de repos. En voyant sa surface s’élever et s’affaisser successivement, on eût dit la poitrine de quelque monstre marin respirant pesamment pendant son sommeil.

Le capitaine lui-même hésitait à laisser le fond, lorsque l’eau portait si fort sous le courant, et par une brise si faible. Cependant il y avait une petite anse par notre bossoir de tribord, et M. Marbre suggéra qu’il pourrait être à propos de sonder dans cette direction, attendu que l’eau semblait calme et profonde. Il pensait qu’il y avait réellement sur la côte un remous dans le courant, qui pourrait porter le bâtiment au vent six ou huit fois sa longueur, et par conséquent plus que compenser la perte qui devait infailliblement avoir lieu en abattant du côté du large. Le capitaine reconnut la justesse de cette observation, et je fus un de ceux qui furent envoyés dans le petit canot en cette occasion. Nous nous dirigeâmes vers les rochers, et nous n’avions pas fait cinquante toises que nous rencontrâmes un remous, à n’en pouvoir douter, tout aussi fort que le courant sur lequel le vaisseau était mouillé. C’était un grand avantage, d’autant plus que l’eau était assez profonde, allant jusqu’au bord des récifs qui formaient l’anse, et produisaient ainsi un autre courant dans la direction contraire. Il y avait bien assez de place pour manœuvrer le bâtiment, et, tout considéré, la découverte était extrêmement heureuse. Au fond de cette anse, nous aurions échoué la nuit précédente, si nos oreilles n’avaient pas mieux valu que nos nez.

Dès que le capitaine eut bien constaté l’état des choses, il revint à bord, et les nouvelles qu’il apportait réjouirent tous les cœurs. Nous nous approchâmes gaiement des barres de virevau, et nous commençâmes à virer sur le câble. Je n’oublierai jamais l’impression que produisit sur moi la rapide dérive du bâtiment, dès que l’ancre eut laissé le fond, et que l’avant fut lancé du côté de la terre, pour mettre le