Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/124

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contraire ; et elle pouvait garder la somme tant qu’elle le voudrait, pourvu que les intérêts fussent payés exactement ; mais je ne me laissai pas enjôler par ses belles paroles ; je vidai le sac sur la table, et je lui dis de le compter. Il me rendit mon obligation, et il ne me resta plus qu’à purger l’hypothèque. Quel drôle de jargon, Miles ! Purger l’hypothèque ! c’est sa conscience qui aurait grand besoin d’être purgée au vieux coquin. Mais que de formalités ils vous font faire ! Dieu vous garde des hypothèques, mon ami ! c’est bien le plus grand fléau que je connaisse !

L’avis venait trop tard. Clawbonny était déjà hypothéqué, et pendant que Marbre racontait son histoire, je sentis bien quelques remords de mon imprudence. Néanmoins je ne pouvais comparer mon cousin, cet homme si rond, si ouvert, si dévoué à la famille, à un infâme usurier, tel que le persécuteur de mistress Wetmore.

Je fus charmé pour plus d’une raison de revoir mon lieutenant. Il se chargea à ma place d’une foule de détails fastidieux, et prit soin du bâtiment, où il installa sa mère et Kitty le jour même ; Je remarquai que la bonne dame ne revenait pas de sa surprise de voir partout tant d’ordre et de propreté. Elle s’imaginait que dans un navire on ne marchait que sur du goudron ; et elle fut charmée de trouver des chambres qui étaient presque aussi propres que la sienne. Pendant un jour entier elle ne voulut pas d’autre plaisir que de parcourir le bâtiment ; mais ensuite elle pensa à l’église hollandaise et au lion que Marbre lui avait promis de lui montrer. Son fils lui tint parole en tout point, sans oublier le spectacle. Ce dernier amusement confondit mistress Wetmore, qui n’imaginait rien de pareil, et divertit infiniment Kitty. La charmante enfant avoua ingénument qu’elle irait volontiers tous les soirs au spectacle ; qu’elle voudrait bien savoir ce que Horace Bright en penserait, et s’il oserait s’aventurer tout seul dans un théâtre, dans le cas où il viendrait à New-York. En 1803, il n’y avait guère de comédiens ambulants aux États-Unis. Les grandes cités avaient seules le privilège d’admirer les merveilles du théâtre, et les provinciaux ne pouvaient jouir que là de tout l’agrément que procurent le rouge, les mouches et les bouts de chandelle, tous ces prestiges de la scène. Pauvre petite Kitty ! Pendant un jour ou deux, la tête lui tourna de toutes ces magnificences, et l’astre d’Horace Bright lui-même pâlit un moment devant tant de splendeurs.