Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/185

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vent reste où il est, nous n’avons pas à nous plaindre. Si nous parvenons à gagner un port sans encombre, je ne regretterai pas le retard que nous avons éprouvé ; l’honneur que nous avons acquis compense largement quelques pertes d’argent ou quelques avaries. Pour ce qui est de M. Sennit, il doit être à soixante ou à quatre-vingts milles d’ici au sud-ouest, et nous pouvons lui dire : Bon voyage.

— S’il allait rencontrer le Rapide, et raconter ce qui est arrivé, Miles ? C’est une chance que je rumine, et qui me chiffonne malgré moi. Le bâtiment anglais cinglait droit vers le parage ou la frégate est en croisière. Il ne faut pas encore nous presser de chanter victoire.

— Ce risque est si éloigné, que je ne m’en préoccuperai guère. J’ai l’intention de forcer de voiles pour gagner la terre, et ensuite de profiter du premier vent favorable pour me diriger vers un port quelconque. Si vous avez un meilleur avis à ouvrir, je vous engage à vous expliquer.

Marbre m’approuva, quoiqu’il fût évident qu’il ne pût se défendre d’une certaine appréhension. Le lendemain matin, aucun changement n’était survenu, la mer était libre ; et, trois jours après la reprise de l’Aurore, nous avions si bien marché que nous n’étions plus qu’à cent quatre milles au sud-est d’Ouessant. Cependant le vent avait changé, et il était sauté au nord-est. Nous nous mîmes tous à l’ouvrage pour rentrer les bonnettes, et pour brasser au plus près ; opération qui employa bien deux heures. Nous étions si occupés que nous n’avions guère le temps de regarder autour de nous, et ma surprise fut grande quand le cuisinier s’écria : Oh ! une voile. J’étais occupé à orienter convenablement la grande vergue, et levant les yeux je vis un lougre qui s’avançait vers nous, et qui n’était plus qu’à une bonne portée de canon. Je sus ensuite que, nous voyant approcher, le lougre était resté immobile, comme un serpent sous l’herbe, à sec de voiles, et qu’il n’avait commencé la chasse que lorsqu’il nous avait jugés assez près. Il ne me fallut qu’un coup d’œil pour reconnaître plusieurs faits importants. D’abord le lougre était français, il ne pouvait y avoir le plus léger doute à cet égard ; en second lieu, c’était un croiseur ; enfin, dans les circonstances actuelles, il était impossible de lui échapper. Mais pourquoi aurions-nous cherché à éviter ce bâtiment ? Les deux pays étaient en paix : nous venions d’acheter la Louisiane à la France, nous l’avions payée