Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/223

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— Je suis tenté de croire, Miles, qu’ils en ont pour quelques heures encore à travailler avant de se mettre en route ; et dire que notre équipage est sur leur bord, et pas moyen d’en ravoir quelques hommes ! Ce serait si bon pourtant ! Si l’on avait seulement un canot, j’irais les trouver avec un pavillon parlementaire, et je verrais s’il n’y aurait pas moyen de s’entendre.

Je ris de cette saillie, en conseillant à Marbre de rester où il était :

— Il faudra bien du temps au Rapide pour remettre en état sa voilure, ajoutai-je, et puis il peut être tenté de poursuivre l’autre frégate française, qui se dirige évidemment sur Brest, auquel cas nous n’aurions rien à craindre. — Par Saint-George ! voilà un coup de canon, et l’on tire de notre côté. Voyez-vous le boulet, Moïse, qui décrit ses ricochets sur l’eau, presque en droite ligne entre nous et la frégate ? Parbleu ! le voilà qui arrive à son adresse.

En effet, le Rapide avait le cap tourné vers nous, et le boulet, bondissant de vague en vague, vint tomber à cent brasses de l’Aurore.

— Oh ! oh ! s’écria Marbre, qui avait braqué sa longue-vue sur les frégates ; voilà bien une autre affaire ! Voilà un canot qui vient de ce côté à force de rames, et un autre canot le poursuit. C’est au premier de ces canots que le boulet s’adressait, et non pas à nous.

Je regardai à mon tour ; c’était bien, comme Marbre le disait, une petite embarcation, qui était naturellement au vent de la frégate ; elle venait droit à nous, et les rameurs faisaient des efforts désespérés. Il y avait sept matelots, six aux avirons et un au gouvernail. La vérité jaillit tout à coup à mon esprit ; c’étaient des hommes de notre équipage, sous la conduite du second lieutenant, qui, voyant à l’eau un des canots du Rapide sans que personne y fût, avaient profité de cette circonstance pour s’enfuir, dans la confusion du moment. Le Prince-Noir avait pris possession de la prise en employant une seule embarcation, et le cutter envoyé à la poursuite me paraissait venir du bâtiment français. Je fis part sur-le-champ de mes soupçons à Marbre, et, pour lui, ils se changèrent aussitôt en certitude.

— Eh ! parbleu, oui, ce sont nos hommes, s’écria-t-il ; — vite, il faut faire servir, et leur épargner la moitié du chemin.

Ce projet ne pouvait être effectué sans nous exposer au feu des Anglais, car nous venions d’éprouver tout récemment qu’il s’en fallait de bien peu que leurs boulets ne portassent jusqu’à nous. Nous