Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/225

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L’intérêt que nous prenions au résultat de cette course était si vif que ce que nous avions éprouvé pendant le combat n’était rien en comparaison. Marbre imitait avec son corps tous les mouvements des rameurs, comme s’il pouvait les aider ainsi. Diogène les appelait de toutes ses forces, et les encourageait à nager en désespérés, et il ne réfléchissait pas qu’ils n’étaient pas encore à portée de l’entendre. Avec ma longue-vue j’apercevais mon second lieutenant qui d’une main tenait la barre, de l’autre vidait l’eau avec son chapeau. Cependant le cutter était assez proche alors pour que je pusse distinguer le bout de quelques fusils ; s’il arrivait assez près du canot pour en faire usage, nos hommes étaient perdus ; car il n’était pas probable qu’ils eussent aucune arme pour se défendre.

La crise approchait ; l’Aurore faisait bonne route, Marbre et Diogène ayant bordé avec peine et hissé le grand perroquet ; l’eau écumait sous nos bossoirs, et bientôt le canot fut si près que nous fûmes obligés de serrer le vent, afin de donner aux fugitifs le temps de nous rejoindre. Marbre apporta sur le pont les fusils laissés par les corsaires, et se mit à les amorcer. Il voulait faire feu sans plus attendre, sur le cutter, qui se trouvait alors à portée ; mais c’eût été nous mettre dans notre tort ; je lui promis de me servir de ces armes si les Anglais tentaient de nous aborder, mais j’ajoutai que jusque-là il fallait nous tenir tranquilles.

Cependant les embarcations approchaient de plus en plus, le cutter gagnant toujours du terrain sur le canot. Le Prince-Noir et le Rapide, qui pouvaient être à un mille de distance, envoyèrent chacun un boulet qui passa sur nos têtes. Dans ce moment, l’officier qui commandait le cutter fit feu sur le canot, et je vis un de nos matelots baisser la tête ; il avait été atteint. Je pensai que le pauvre diable avait le bras cassé, car il semblait éprouver une vive souffrance, et il changea de place avec le second lieutenant, qui saisit l’aviron, et se mit à nager avec fureur. Trois nouvelles décharges eurent lieu, en apparence sans résultat ; nos matelots étaient alors à cent cinquante brasses de nous, et les Anglais à moins de vingt brasses derrière eux. Les Anglais cessèrent de tirer, peut-être parce qu’ils avaient alors la partie trop belle pour répandre le sang inutilement.

Je dis à Marbre de se tenir prêt avec une corde à la main. L’Aurore allait lentement de l’avant, et il n’y avait pas de temps à perdre. Je