Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/90

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vain les prairies étalaient leurs robes de fleurs ; les bois, les teintes variées de leur verdure américaine ; les oiseaux, leur brillant plumage, pendant que l’air retentissait de leurs joyeux concerts ; l’imagination de Grace se retraçait d’autres scènes qui se rapportaient au sentiment dominant de sa vie ; je sentis qu’elle tremblait, pendant qu’elle s’appuyait sur mon bras, et, ayant penché la tête vers elle, je pus distinguer quelques paroles qui me montrèrent clairement qu’elle priait pour Rupert. Dès qu’elle eut achevé, elle demanda d’elle-même qu’on fermât le rideau, pour chasser à jamais toute pensée du dehors.

Quelle heure que celle qui suivit ! M. Hardinge et Lucie en passèrent une grande partie à genoux, priant tout bas, pour ne pas troubler la malade. Ces souvenirs de Rupert, rappelés par la vue du bois, ce regard prolongé, jeté sur les scènes de son enfance, portèrent-ils le dernier coup à cette frêle organisation déjà si ébranlée, ou bien le lien mystérieux qui unit si intimement la partie immortelle de notre être à son enveloppe matérielle, allait-il se détachant de plus en plus de lui-même, c’est ce qu’il m’est impossible de décider ; mais, à partir de ce moment, l’affaiblissement fut à son comble ; les pensées de Grace, bien que toujours appuyées sur la foi et sur l’espérance chrétienne, prirent quelque chose de vague et de décousu, et s’emprégnirent en quelque sorte d’une simplicité enfantine ; mais ses facultés avaient beau s’affaiblir, il y avait en elle une beauté morale que rien ne pouvait ternir. À peine faisait-elle le plus léger mouvement ; ses mains étaient jointes, et ses yeux se portaient de temps en temps vers le ciel. Enfin elle parut se ranimer un peu et observer des objets extérieurs.

— Lucie, dit-elle, qu’est devenu Rupert ? Sait-il que je suis mourante ? Pourquoi n’est-il pas venu me voir pour la dernière fois ?

Il est inutile de dire quelle impression cette brusque demande fit sur Lucie et sur moi. Lucie cacha sa figure dans ses mains sans répondre ; mais le bon M. Hardinge, qui ne savait rien de nos tristes secrets, se hâta de disculper son fils.

— Rupert a été prévenu par moi, ma chère enfant, dit-il, et, quoiqu’il soit tout entier à son amour et à miss Merton, il ne manquera pas d’accourir dès qu’il aura reçu ma lettre.

— Miss Merton ! répéta Grace en passant la main sur son front ; qui est-elle ? Je ne me rappelle personne de ce nom.