Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/97

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image de bonté, de vertus et d’affection ; et nous éprouverons un plaisir mélancolique, mais réel, à nous rappeler combien elle nous a aimés, et dans quelle intimité étroite nous avons vécu ensemble.

— C’est un lien du moins qui restera entre nous, Lucie, et qui résistera, je l’espère, à tous les changements et au froid égoïsme du monde.

— Je l’espère aussi, Miles, répondit Lucie à voix basse, et, à ce qu’il me parut dans le moment, avec un embarras que je ne manquai pas d’attribuer à la réflexion qu’elle faisait sans doute que c’était André Drewett qui avait droit à une association de sentiment aussi intime, — nous, qui nous connaissons depuis l’enfance, pouvons-nous cesser de nous estimer et de rester attachés l’un à l’autre ?

Lucie parut alors penser qu’elle pouvait m’abandonner à moi-même, et elle rentra dans la maison. Je ne la revis qu’au moment où M. Hardinge nous rassembla tous pour la prière du soir. La réunion de la famille eut ce soir-là un caractère de solennité et de tristesse qu’elle n’avait jamais eu. Il me semblait que l’esprit de Grace planait au milieu de nous ; plus d’une fois je crus entendre sa douce voix se mêlant aux nôtres, et dirigeant la prière, comme c’était son habitude quand notre bon tuteur était absent. Tous les nègres me regardaient avec sollicitude ; ils sentaient que c’était mon triste privilège de ressentir le plus profondément le coup qui nous avait frappés. Chacun d’eux me salua en se retirant. Quant à Chloé, elle était suffoquée par ses sanglots ; la pauvre enfant n’avait consenti à quitter un instant le corps de sa jeune maîtresse que pour se joindre un moment à nous ; et elle s’empressa de retourner au poste douloureux que son dévouement éprouvé ne voulait céder à aucun autre.

Je me suis déjà étendu sur les circonstances de la mort de Grace plus longuement que je n’en avais l’intention ; il est des sujets que, tout pénibles qu’ils sont, on ne peut se décider à quitter. Les deux ou trois jours qui suivirent ramenèrent un calme apparent ; et quoique, pendant bien des années, Lucie et moi nous n’ayons pas cessé un seul jour de la pleurer, nous reprîmes la présence d’esprit nécessaire pour remplir les devoirs qui nous restaient à accomplir. Grace était morte un dimanche, vers l’heure du dîner. Malgré l’empressement peu convenable avec lequel on enterre les morts aux États-Unis, en partie sans doute à cause du climat, M. Hardinge