Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/113

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mais quand on en vient à la raison et à la vérité, nous ne faisons pas grande figure en montrant ce que nous savons. Cette chapelle est au maître, si l’on peut appeler chapelle cette maison hérétique ; la cloche que voici fut achetée de son argent, la corde est à lui, et les mains qui la tirent sont aussi à lui. Mais il est aussi peu utile de parler à des rochers qu’à des esprits encore plus durs.

Là s’arrêta l’entretien. La cloche ne sonna que quand mistress Willoughby et ses filles eurent franchi les grandes portes de la fortification ; la récente discussion sur les questions politiques avait si bien substitué l’esprit de révolte à la subordination dans la colonie, que plus de la moitié de ceux qui étaient nés dans la Nouvelle-Angleterre exprimèrent leur mécontentement de ce délai. Mike, cependant, ne remua pas plus que la petite chapelle elle-même, refusant d’ouvrir la porte jusqu’au moment qu’il croyait convenable. Quand ce moment fut arrivé, il s’avança vers l’orme où était suspendue la cloche, et commença à la faire mouvoir avec autant de sérieux que si les sons en eussent été régulièrement consacrés.

Quand les habitants de la hutte entrèrent dans la chapelle, tout le reste de la congrégation était placé comme de coutume. Ceux qui arrivaient ajoutaient aux assistants la grande briseuse et la petite briseuse, les deux Plines et cinq ou six enfants de couleur, âgés de six à douze ans qui suivaient leurs maîtres. Une petite galerie avait été bâtie pour les noirs, ils y étaient à part comme une race proscrite et persécutée. On ne pouvait dire ce que pensaient de cette séparation les Plines et les briseuses. L’habitude leur avait fait une situation plus que totérable, en leur créant des usages qui leur auraient rendu désagréable un plus étroit contact avec les blancs. À cette époque, les hommes des deux couleurs ne mangeaient jamais ensemble, dans aucun cas. Les castes orientales ne sont guère plus rigides à observer ces règles que ne l’étaient les Américains. Des hommes qui travaillaient ensemble, qui plaisantaient ensemble, qui passaient leurs jours dans un commerce familier, ne pouvaient s’asseoir à la même table.

Il semblait que ce fût une sorte de souillure pour l’une des castes de rompre le pain avec l’autre. Ce préjugé donna souvent lieu à de singulières scènes, surtout dans les intérieurs de ceux qui travaillaient habituellement en compagnie de leurs esclaves. Dans certaines familles, il n’était pas rare qu’un noir dirigeât la