Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 24, 1846.djvu/8

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Comme la plupart de ces militaires avaient longtemps occupé les postes-frontières, ils étaient accoutumés à la vie des bois, et s’étaient familiarisés avec les privations et les dangers ; il leur arrivait donc assez souvent, lorsque les besoins de leur famille devenaient pressants, de vendre leur charge, de se mettre à demi-solde et de se retirer dans les terres qu’on leur avait accordées, pour s’y établir en permanence.

Dans les parties de la colonie de New-York qui s’étendent à l’ouest des comtés riverains, les patentes étaient presque toujours de simples concessions de propriété sujettes à une redevance annuelle, sans aucun des privilèges de seigneurie féodale attachés à toutes les concessions antérieurement faites sur l’Hudson ou dans les îles ; la couronne se réservait seulement les droits sur les mines de métaux précieux. Nous ne saurions dire pourquoi fut établie cette distinction ; mais elle existe, et nous en trouvons la preuve dans un grand nombre de patentes originales qui nous ont été transmises par différentes sources. Cependant les habitudes de la métropole l’emportèrent, et certaines habitations ont conservé, même jusqu’à nos jours, le titre de manoirs, bien qu’aucun droit de manoir n’ait jamais été accordé ; les propriétaires convertissaient en terre féodale une propriété accordée à titre simple, sans que l’acte de concession fît mention d’aucun privilège. Au surplus, quelques-uns de ces manoirs étaient d’un aspect si primitif, qu’on aurait pu croire que ce nom ne leur était donné que par dérision ; les constructions étaient faites en troncs d’arbres encore couverts de leur écorce, et l’intérieur correspondait à l’extérieur. Malgré tous ces mécomptes, l’habitude et les souvenirs pouvaient aisément se faire illusion avec des mots et il y avait une certaine jouissance mélancolique pour les exilés, à transporter au milieu de leurs forêts les noms et les usages des scènes de leur enfance.

L’effet des différentes causes que nous venons d’énumérer fut de parsemer cette contrée d’établissements éloignés les uns des autres, que l’on rencontre comme des monuments grossiers de la civilisation, au milieu de la vaste étendue de forêts sans bornes. Quelques-uns de ces établissements primitifs avaient fait de considérables progrès avant que la guerre de 1776 forçât les habitants de chercher ailleurs une protection contre les invasions des sauvages et longtemps avant le flux d’émigrants qui succéda à la