Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/106

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aux yeux noirs, placé sur le siège de derrière, nous adressa un gracieux sourire ; et ils partirent à bride abattue, faisant retentir du bruit de leurs clochettes tous les échos d’Albany. Pendant ce temps, M. Worden avait repris sa place, et nous suivîmes plus modérément, notre attelage n’ayant rien de l’ardeur hollandaise de deux chevaux qui venaient de quitter l’écurie. Telles furent les circonstances sous l’empire desquelles nous fîmes notre entrée dans l’ancienne cité d’Albany. J’espérais que le petit incident de la chasse donnée au révérend serait bientôt oublié, car on n’aime pas à se trouver mêlé dans une histoire qui à son côté grotesque ; mais nous comptions sans notre hôte : Guert n’était pas homme à laisser dormir une semblable affaire ; il s’en empara, la broda de toutes les manières, et bientôt on ne parla dans tout le pays que des « gambades du révérend. »

Albany, en 1758, était essentiellement une ville hollandaise. En passant, nous n’entendions guère parler que hollandais ; c’était en patois hollandais que les femmes grondaient leurs enfants ; usage, soit dit en passant, auquel cette langue semble merveilleusement appropriée ; les nègres chantaient des chansons hollandaises ; on s’appelait en hollandais ; enfin le hollandais régnait en souverain. On rencontrait beaucoup de militaires dans les rues, et d’autres signes indiquaient la présence de troupes assez considérables. Cependant Albany ne me parut qu’une petite ville de province auprès d’York. Il faut dire qu’alors on y comptait à peine quatre mille habitants. La grande rue, où se trouvait notre hôtel, était d’une dimension tout à fait remarquable ; mais les ruelles qui y conduisaient étaient tellement étroites qu’on avait voulu évidemment regagner sur elles l’espace qu’on lui avait donné.

La foule réunie dans cette rue où étaient entassés des traîneaux remplis, les uns de bois, les autres d’oies, de dindons, de volailles de toute espèce, de gibier de toute sorte ; les sleighs qui fendaient l’air, remplis de jeunes gens des deux sexes ; le son incessant des clochettes ; les cris et les discussions en bas-hollandais ; les énergiques jurons anglais des sergents ; les gros rires des nègres ; sans parler de la beauté d’une journée où le ciel était aussi pur que l’air était froid ; tout cela produisit sur moi un effet semblable à celui que j’avais éprouvé en entrant pour la première fois au