Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/175

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Puis le bruit des clochettes sembla s’éloigner dans la direction de la rive occidentale, et nous écoutâmes tous quatre avec une angoisse indicible. Nous entendions la glace craquer et se fendre tout autour de nous ; devant, derrière, nous voyions des barrières se former ; le son des clochettes devint de moins en moins distinct ; il finit par cesser tout à fait, et il nous sembla que nous étions séparés de tous nos semblables.

Ce n’était pas le moment de rester dans l’inaction, il fallait prendre un parti, et un parti immédiat. Nous avions le choix ou d’essayer de gagner la rive occidentale, ou de nous diriger vers la plus rapprochée des petites îles basses qui se trouvaient dans la direction opposée. Guert se détermina pour ce dernier parti, et mettant ses chevaux au pas, car leurs forces étaient épuisées, il chercha à gagner la pointe de terre. Il nous apprit alors que la crevasse qui s’était ouverte à côté de nous mettait obstacle à ce que nous pussions gagner le bord du côté de l’ouest. En même temps, pour rassurer Anneke sur le sort de son père, il eut recours à un pieux artifice : il lui dit combien il était heureux qu’Herman Mordaunt eût été retenu de l’autre côté de la barrière de glace, puisqu’il pourrait gagner facilement un lieu de refuge, et cette assurance contribua pour beaucoup à soutenir le courage de nos compagnes pendant les douloureux incidents de cette nuit terrible ; tranquille sur le sort de son père, Anneke se trouvait délivrée de ses inquiétudes les plus déchirantes.

Dès que le sleigh fut près de la pointe de l’île, Guert me donna les guides, et alla en avant pour examiner s’il était possible de mettre pied à terre. Son absence put durer quinze minutes, car il voulut examiner à fond l’état de l’île, et les moyens d’y aborder. Ce furent quinze minutes d’une anxiété bien grande. Les masses de glaces qui continuaient à se briser avec fracas derrière nous, les blocs détachés qui se heurtaient les uns contre les autres, faisaient le même bruit que le mugissement de l’océan dans la tempête. Malgré toute la préoccupation d’esprit dont je ne pouvais me défendre dans un pareil moment, il m’était impossible de ne pas admirer le sang-froid de Guert, et sa conduite vraiment héroïque ; ce n’était pas tant sa résolution qui me frappait que ce calme, cette présence d’esprit, qui lui laissaient le