Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/202

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d’anecdotes, le plus d’histoires drolatiques ; mais il ne se commettait point positivement d’excès. Il est vrai que mon père, mon grand-père, le révérend M. Worden et le colonel Follock avaient coutume de regagner leurs lits en trébuchant un peu, ce qui provenait de l’odeur du tabac, comme ne manquait jamais de l’affirmer M. Worden ; mais du reste tout se passait dans l’ordre et avec décence. Le ministre, par exemple, avait toujours soin de lever la séance le vendredi, et il ne reparaissait que le lundi soir, ce qui lui donnait vingt-quatre heures pour se calmer avant de monter en chaire. Je dois dire, à son honneur, qu’il était très-exact et très-méthodique dans l’accomplissement de tous ses devoirs, et je l’ai vu, quand il arrivait tard à table, et qu’il découvrait que mon père avait omis de dire le Benedicite, faire déposer à chacun son couteau et sa fourchette pour réparer l’omission. Je le répète, M. Worden était exemplaire sous ce rapport, et c’était grâce à son exemple et à ses instructions que l’habitude de dire une prière avant le repas s’était introduite dans plusieurs familles du West-Chester.

Je n’avais pas vécu quinze jours avec Guert Ten Eyck que je m’aperçus qu’il avait le même faible que le colonel. Il y avait un vieil huguenot français, ou plutôt le descendant d’un huguenot, qui demeurait près de Satanstoé, et qui avait conservé quelque chose du langage de son père. Ainsi, par imitation des grands et des petits levers du roi de France, il appelait les fredaines du colonel ses grands et ses petits couchers. Les petits couchers étaient ceux où il pouvait regagner son lit, tandis qu’aux autres il fallait toujours un peu d’aide. Mon père n’assistait jamais aux grands couchers ; dans ces occasions, le colonel ne quittait point le Buckland, et il n’avait pour compagnons que des hommes d’extraction purement hollandaise ; aucun profane n’était admis. J’ai entendu dire que ces orgies duraient quelquefois une semaine entière, et qu’alors le colonel et ses amis étaient heureux comme des milords. Mais ces grands couchers n’avaient lieu que rarement ; ils revenaient, à peu près comme les années bissextiles, pour régler le temps et rétablir l’équilibre du calendrier.

Pour mon nouvel ami Guert, il n’avait fait aucune manifestation de ce genre pendant mon séjour à Albany ; il eût été difficile