Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/267

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garder autour de lui, tant notre course avait été rapide et sérieuse ; mais alors chacun jeta son havresac, déposa sa carabine, et, libre de ses mouvements, se mit à considérer un des plus beaux spectacles que nos yeux eussent jamais contemplé.

D’après ce que j’ai lu, d’après ce que j’ai entendu dire, je sais bien qu’en Amérique la nature n’a jamais ce caractère grandiose qui est si frappant au milieu des lacs et des précipices des Alpes, ou le long des côtes presque divines de la Méditerranée ; et je n’irai pas jusqu’à prétendre que la vue qui se déroulait alors à mes regards égalât en magnificence quelques-unes de celles qu’on rencontre dans ces régions magiques. Néanmoins, elle avait quelque chose de doux et d’imposant à la fois ; et le manteau vert de ses bois interminables lui donnait un cachet d’immensité, qui se trouve rarement dans les contrées soumises depuis longtemps à la domination de l’homme. Quoi qu’il en soit, nous essaierons d’en donner une idée.

Au-dessous de nous, à la distance de près de mille pieds, reposait un lac de l’eau la plus limpide et la plus tranquille, qui avait près de quarante milles d’étendue, mais dont les bords semblaient fuir ou se rapprocher tour à tour, comme pour en détruire la monotonie. Nous étions sur la rive orientale, à un tiers à peu près de son cours du sud au nord. Des îles sans nombre, groupées à nos pieds, offraient, par ce mélange continuel de terre et d’eau, le spectacle le plus varié. Du côté du nord, la nappe d’eau transparente s’étendait au loin, bordée par des rocs escarpés, et passait par une gorge étroite pour s’épandre ensuite dans un lit plus vaste et plus large. Du côté du midi seulement, où les îles étaient rares et parsemées, on pouvait apercevoir quelques vestiges de l’industrie humaine. Partout ailleurs, les gorges, les vallées enfoncées, les longues chaînes de collines, et les cimes nues de granit, ne présentaient à l’œil que les beautés toujours si saisissantes de la nature. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, la terre étalait son tapis de verdure ; tel que la végétation la plus vigoureuse, aidée par un soleil bienfaisant, peut le produire sur un sol vierge. On eût dit que la terre n’était autre chose que le firmament renversé, couvert d’un nuage de feuillage.