dant un moment, je ne pus que contempler le tableau merveilleux formé par ce contraste si frappant entre les sommets dorés des montagnes et leurs flancs ténébreux, entre le réveil du jour et les vestiges de la nuit. Mais l’Onondago était trop absorbé par les sentiments qui l’agitaient pour me laisser longtemps livré à ma contemplation. Il ne parla point, mais ses yeux et ses gestes appelèrent mon attention sur le fort William-Henri, et je vis ce qui causait son émotion extraordinaire. Dès que l’Indien fut bien certain que je l’avais compris, il s’écria avec son accent guttural fortement prononcé :
— Bon !
L’armée d’Abercrombie était en mouvement. La surface du lac était couverte d’une multitude innombrable de bateaux dont les longues lignes noires se dirigeaient vers l’extrémité septentrionale du lac avec la méthode et la précision d’une armée qui s’avance en déployant ses ailes. La dernière brigade d’embarcations venait de quitter le rivage au moment où je vis pour la première fois ce spectacle frappant, de sorte que le tableau tout entier s’offrit tout d’un coup à mes regards. Jamais l’Amérique n’avait rien vu de pareil. Je restai des minutes entières dans une sorte d’extase, et je ne parlai que lorsque les rayons du soleil eurent dissipé l’obscurité douteuse qui pesait encore sur les vallées.
— Que devons-nous faire, Susquesus ? demandai-je alors, sentant avec quelle raison l’Indien pouvait réclamer le droit de diriger nos mouvements.
— Déjeuner d’abord, répondit tranquillement l’Onondago ; ensuite descendre la montagne.
— Rien de tout cela ne nous mettra au milieu de cette brave armée, ce que nous désirons tant.
— Patience. Pas de presse, maintenant. La presse viendra, quand les Français tireront.
Ces paroles, et surtout la manière dont elles furent prononcées, ne me plurent pas ; mais des intérêts trop pressants réclamaient toute mon attention pour que je me livrasse longtemps à de vagues conjectures sur les allusions détournées de l’Onondago. J’appelai Guert et Dirck pour leur faire partager le plaisir dont