Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/307

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dernier parti fut celui auquel on s’arrêta ; c’était en même temps le plus facile à exécuter et le plus sûr.

Le conseil n’était pas séparé depuis une heure que nous avions tous perdu le sentiment de ce qui venait de s’y passer. Jamais, pour ma part, je ne dormis d’un plus profond sommeil, et chacun de mes compagnons en dit autant le lendemain. La fatigue, la jeunesse, la santé, se réunirent pour nous faire goûter un repos dont nous avions un si grand besoin. Nous nous étions couchés à neuf heures, et ma montre m’apprit qu’il était deux heures du matin, quand l’Indien me réveilla en me frappant sur l’épaule. On prend l’habitude d’être matinal dans les bois, et je fus sur pied en un instant.

Malgré l’obscurité, car la nuit était encore profonde, je pus remarquer que Susquesus était seul debout, et qu’il avait ôté les barricades et ouvert la porte. Il sortit de la hutte, dès qu’il vit que j’étais éveillé. Sans n’amuser à réfléchir, je le suivis, et je le rejoignis à quinze ou vingt pas de l’habitation.

— C’est une bonne place pour entendre, dit l’Indien d’une voix sourde ; maintenant ouvrez l’oreille.

Quelle scène se présenta alors à mes sens ! je la vois encore, après tant d’années de bonheur paisible, et tant d’années de fatigues et de vie aventureuse. La nuit n’était pas très sombre par elle-même, mais le peu de lueur qu’elle laissait pénétrer était encore obscurcie par l’épaisseur des bois, et tout avait un aspect funèbre et solennel. Il était impossible de voir à quelque distance, et c’est à peine si l’on distinguait les objets les plus rapprochés. Néanmoins il était facile à l’imagination de revêtir d’un caractère de majestueuse grandeur cette voûte qui se prolongeait sous le feuillage des arbres. De sons, il n’y en avait littéralement aucun, lorsque l’Indien me dit pour la première fois d’écouter. Le calme était si profond qu’il me semblait entendre les soupirs de l’air de la nuit au milieu des branches les plus élevées. Plus haut encore, les sommets des chênes et des pins géants formaient une sorte de monde supérieur par rapport à nous ; région habitée par les corbeaux, les aigles, les faucons, qui s’abattaient quelquefois pour chercher quelque proie, mais qui remontaient aussitôt à leurs repaires invisibles.