Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/53

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barraque en planches construite pour la fête. En approchant de la porte, je m’aperçus que les joues de la plupart des jeunes compagnes d’Anneke commençaient à pâlir ; signe de faiblesse que les négresses qui étaient avec elles, tout étrange que cela puisse paraître, ne tardèrent pas à donner aussi. Mary pourtant ne broncha pas ; et quand arriva l’instant décisif, elle et sa jeune maîtresse furent les seules qui persistèrent dans leur résolution primitive. On chercha d’abord à décider quelques-unes des plus grandes demoiselles ; mais voyant tous les efforts inutiles, miss Mordaunt dit avec calme :

— Eh bien, messieurs, Mary et moi nous représenterons notre sexe. Je n’ai jamais vu de lion, et je n’ai pas envie de laisser échapper cette occasion. Ces demoiselles attendront à la porte ceux de nous qui ne seront pas mangés.

Nous étions alors près du bureau où l’on prenait les billets. Dirck avait été retenu par une personne de sa connaissance qui sortait de la baraque, et qui lui racontait quelque incident burlesque arrivé dans la salle. J’étais d’un côté d’Anneke, Jason de l’autre, Mary formait l’arrière-garde.

À ma grande surprise, Jason, qui d’ordinaire n’était jamais pressé en pareil cas, tira sa bourse, prit quelque menue monnaie, et dit d’un air content de lui-même :

— Permettez-moi, miss, de vous régaler, ainsi que la bonne. c’est un honneur que je réclame superlativement.

Je vis Anneke rougir ; ses yeux cherchèrent Dirck. Avant que j’eusse eu le temps de rien dire, elle répondit avec beaucoup d’aplomb :

— Ne vous donnez pas cette peine, monsieur Newcome ; M. Littlepage voudra bien prendre des billets pour nous.

— Comment donc, une peine ? mais c’est comme qui dirait un plaisir ! c’est une occasion délectable !

Pendant que Jason se perdait dans ses phrases, je m’étais élancé au bureau. Je pris les billets et les remis entre les mains d’Anneke, qui me remercia. Dirck nous rejoignit et entra avec nous. Avant de passer à autre chose, je raconterai la fin de cet incident qui, tout futile qu’il paraisse, mit en relief le tact exquis