Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/55

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connaît encore rien aux façons du monde. N’y faites pas attention. Quand il aura quelques années de plus, il ne fera plus de ces bévues superlatives.

Et Jason avait toujours la main étendue vers miss Mordaunt. Celle-ci eut le bon esprit de prendre la chose en plaisanterie, et elle répondit en s’armant de tout son sérieux :

— Vous êtes vraiment trop bon, monsieur Newcome ; mais à New-York l’usage est que les dames paient pour elles en pareil cas. Quand j’irai dans le Connecticut, je serai heureuse de me conformer à ses usages.

En disant ces mots, Anneke rejoignit ses compagnes.

— Vous le voyez ! s’écria Jason, qui ne voulut pas en avoir le démenti ; elle est vexée que vous ne l’ayez pas régalée. — Tout de même, ajouta-t-il en remettant l’argent dans sa poche, voilà trois schellings d’épargnés.

Mais voilà une assez longue digression ; il est grand temps de rentrer dans la baraque.

Le lion avait un grand nombre de visiteurs, et nous eûmes quelque peine à approcher. Cependant Anneke arriva au premier rang, quelques messieurs s’étant serrés pour lui faire place. Par malheur, elle avait un schall de couleur écarlate, ce qui fut sans doute cause de ce qui arriva, quoique je sois loin d’en répondre. Miss Mordaunt ne manifesta d’abord aucune crainte ; mais la foule augmentant toujours, elle se trouva portée si près de la loge, que le lion, en passant une patte à travers les barreaux, saisit le bord du schall et le tira violemment. J’étais auprès d’Anneke, et avec une présence d’esprit qui me surprend encore, je réussis à détacher le schall des épaules de la chère enfant, et la soulevant doucement de terre, j’allai la déposer à une certaine distance. Tout cela se passa si vite que la moitié des personnes présentes ne soupçonnèrent ce qui était arrivé que quand tout fut fini ; et, ce qui m’étonne le plus, c’est que je ne conserve pas le plus léger souvenir du plaisir que je ne pus manquer d’éprouver en tenant ainsi dans mes bras Anneke Mordaunt. Le gardien intervint aussitôt, et le lion lâcha le schall, semblant tout désappointé qu’il ne s’y trouvât personne.

Anneke était en sûreté avant d’avoir eu le temps de com-