Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le remit dans la position convenable. Il ne s’en fallait que d’un pouce qu’on pût atteindre cet appui. Je pris alors la parole et je criai aux hommes épuisés de lever tous ensemble. Ils obéirent, et je vis la jeune fille, avec un coup d’œil aussi sûr que sa main était ferme, ajuster le montant. Aussitôt tous ceux qui étaient de notre côté se trouvèrent libres, et nous courûmes porter assistance à ceux qui soutenaient l’autre extrémité. Des étais furent placés successivement, et ils purent tous se retirer à leur tour, et contempler dans un morne silence le péril auquel ils venaient d’échapper.

Cet incident fit une impression profonde. J’avais entrevu la courageuse enfant dont l’intelligence et la présence d’esprit avaient été d’un si grand secours, et elle m’avait paru être ce que j’avais jamais vu de plus charmant. Elle avait les formes les plus gracieuses ; ce n’était ni cette délicatesse maladive qui rappelle des idées de souffrance, ni cet embonpoint exagéré qui accuse une santé grossière ; c’était le plus heureux milieu entre ces excès ; et le peu que je vis d’un visage qui était presque entièrement caché sous une forêt de boucles de cheveux du plus beau blond, était en harmonie parfaite avec le reste de sa personne. Et, dans l’action qu’elle venait d’accomplir, il n’y avait rien qui fût en désaccord avec la grâce naturelle à son sexe. Ce n’était point de la force qu’il s’agissait de déployer ; il ne fallait que du sang-froid et du courage.

Il est possible que le sentiment du danger que nous courions tous ait ajouté à l’effet de cette belle apparition que mon imagination me représentait comme envoyée en quelque sorte du ciel pour nous sauver. Mais tout fatigué que j’étais par suite d’efforts tels que je n’en avais jamais fait de ma vie, haletant, hors d’haleine, j’oubliais tout pour ne songer qu’a celle que ma vue troublée n’apercevait même plus, mais dont la taille gracieuse, la démarche légère, l’air animé, la belle chevelure rehaussaient encore dans ma pensée le prix de son admirable dévouement. Quand mon pouls battit plus régulièrement, je tournai la tête pour chercher cette vision étrange, mais je ne vis aucune figure qui me parût la réaliser. Toutes les femmes s’étaient blotties les unes contre les autres comme une couvée effrayée. Elles levaient