Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/127

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et vous concevez maintenant si j’ai dû être alarmée quand j’ai pu craindre qu’il eût un rival aussi redoutable que vous.

Ces quelques mots d’explication étaient pour moi un trait de lumière, quoique je ne pusse m’empêcher d’être surpris de la simplicité extrême, ou plutôt de la force de caractère qui avait décidé Ursule à me faire une si étrange confidence. Quand je la connus mieux, tout me fut expliqué ; mais dans ce moment, je ne pus me défendre d’un mouvement de surprise.

— Soyez tranquille sur mon compte, miss Malbone….

— Miss Malbone ? Pourquoi ne pas m’appeler Ursule comme tout le monde ? Dans une semaine vous le feriez ; autant vaut commencer tout de suite. Vous ne voulez pas vous singulariser ?

— Je vous le promets, miss….

— Encore ? Savez-vous bien que je croirais que vous voulez vous moquer de moi, parce que je ne suis que la fille de ménage d’un pauvre porte-chaîne ? Oui, monsieur Littlepage, nous sommes pauvres, très-pauvres, mon oncle, Frank et moi. Nous n’avons rien.

Ces paroles furent dites, non pas d’un ton de désespoir, mais avec un accent de sincérité on ne peut plus touchant.

— Frank, du moins, doit avoir quelque chose ; ne m’avez vous pas dit qu’il était dans l’armée ?

— Oui, il était capitaine ; mais que lui en est-il revenu ? Nous ne nous plaignons pas du gouvernement ; nous savons que le pays est comme nous : il est pauvre. Sous ce rapport, il a connu aussi de meilleurs temps. J’ai été longtemps à charge à mes amis, et il y a eu des dettes à payer. Si je l’avais su, les choses auraient pu tourner différemment. Je ne puis à présent reconnaître ce qu’ils ont fait pour moi qu’en demeurant avec eux dans cette solitude. C’est une triste chose pour une femme d’avoir des dettes !

— Mais du moins vous restez toujours dans cette maison ; vous n’avez pas été habiter la hutte à Mooseridge ?

— J’ai été partout où a été mon oncle, et je l’accompagnerai tant que nous vivrons tous deux. Rien ne nous séparera jamais, son âge m’en fait un devoir, et la reconnaissance rend ce devoir plus impérieux encore. Frank trouverait sans doute facilement à s’occuper d’une manière plus fructueuse ; mais il ne veut pas