Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est grand temps que Frank et moi nous retournions dans les bois.

J’entendis faire cet arrangement, quoique mes yeux suivissent Ursule, qui s’était levée précipitamment, et qui rentrait dans la maison pour cacher son émotion. L’instant d’après je la vis qui souriait, à la fenêtre de sa chambre, bien que le nuage ne fût pas encore entièrement dissipé.

Le lendemain, de très-bonne heure, nous partîmes pour Mooseridge, et pour voir les perchoirs. Ursula et la vieille négresse voyageaient à cheval ; nous, nous allions à pied ; mais nous avions trois bêtes de somme pour porter nos vivres, nos instruments, nos effets, etc. Chaque homme était armé, ce qui allait presque sans dire à cette époque ; j’avais même un fusil de chasse à deux coups. Susquesus remplissait les fonctions de guide.

Au bout d’une grande heure, nous avions franchi les limites des fermes exploitées sur mes terres, et nous entrions dans la forêt vierge. Par suite de la dernière guerre, qui avait paralysé toutes les opérations de défrichement, on ne voyait guère encore, autour des établissements, de ces clairières formées graduellement qui en sont comme les faubourgs. Au contraire, à peine étions-nous sortis de l’enceinte de la dernière ferme qui fût défendue par des palissades, et passablement cultivée, que nous nous enfonçâmes dans des bois interminables, et que nous prîmes complètement congé de presque tous les signes de la vie civilisée, comme on se trouve dans la campagne en sortant d’une ville de France. Il y avait bien un sentier qui suivait une ligne d’arbres calcinés, mais à peine était-il frayé ; il n’était guère mieux tracé que les caractères que griffonne un enfant à sa première leçon d’écriture. Cependant, pour un habitant des forêts, il n’était pas difficile de le suivre, et, n’eût-il pas existé, Susquesus n’aurait eu aucune peine à trouver son chemin. Quant au porte-chaîne, il allait en avant du pas le plus sûr et le plus délibéré ; l’habitude de tracer des lignes droites, au milieu des arbres, lui avait donné une justesse de coup d’œil qui ne le cédait guère à l’espèce d’instinct d’après lequel Sans-Traces semblait se diriger.