Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/190

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patiemment ce qui serait résolu à mon égard. Dans le premier moment, rien n’annonça qu’on voulût se porter à des actes de violence. Toute la couvée du squatter, jeunes et âgés, mâles et femelles, était groupée autour de moi. Les uns me jetaient des regards de défi, d’autres avaient un air indécis, tous semblaient inquiets. Pour moi, j’avouerai franchement que mes sensations étaient loin d’être agréables. Je savais que j’étais entre les mains des Philistins, dans la profondeur des forêts, à vingt milles de tout établissement, n’ayant d’autre ami dans les environs que le porte-chaîne, qui était au moins à deux lieues de distance, et qui ignorait complètement ma position. Je conviens cependant qu’à cet égard je n’étais pas sans un rayon d’espoir.

Je ne pouvais croire un instant que l’Onondago, ce compagnon si dévoué de mon père et du porte-chaîne, fût un traître. Cette supposition ne se présenta même pas à mon esprit. S’il s’était échappé, c’était sans doute parce qu’il avait présumé que plus tard on le retiendrait de force, et qu’il avait voulu prévenir ses amis de la situation critique dans laquelle je me trouvais, et les amener à mon secours. Une idée semblable frappa probablement Mille-Acres dans le même instant ; car ayant jeté un coup d’œil autour de lui, il s’écria tout à coup :

— Qu’est devenue la Peau-Rouge ? La vermine a décampé, comme je suis un honnête homme ! Nathaniel, Moïse, Daniel, prenez vos carabines et lancez-vous à sa poursuite ! Ramenez-le, si vous le pouvez « avec toute sa peau ; » mais autrement, un Indien de plus ou de moins ne fera pas grande sensation dans les bois.

J’eus bientôt occasion de remarquer que le gouvernement patriarcal de Mille-Acres était des plus absolus et des plus expéditifs. Quelques mots suffisaient pour produire un grand effet, car à peine Aaron avait-il promulgué son ordre suprême que les trois homonymes des anciens prophètes, Nathaniel, Moïse et Daniel, quittaient la clairière par trois points différents, portant chacun à la main une longue et formidable carabine de chasse. Cette arme, si différente pour le degré de puissance de celle qui est employée dans nos armées, se trouvait certainement placée dans des mains dangereuses ; car chacun de ces jeunes gens en connais-