Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/192

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pouillés du fruit de vos rudes travaux, avant que vous eussiez pu regagner les montagnes. Ils vous traitèrent suivant la loi, à ce qu’ils prétendirent. Voyons, comment s’y prirent-ils ?

— Je fus conduit devant l’Écuyer qui se fit rendre compte de l’affaire, me demanda ce que j’avais à dire pour ma défense, et m’envoya en prison jusqu’au jour du jugement. Vous n’avez pas oublié ce qui arriva ensuite, ni moi non plus.

Je devinai que ce qui était arrivé ensuite était loin d’être agréable, ce qui faisait que Tobit n’aimait pas même à en parler. À cette époque i était assez d’usage que les voleurs de moutons fussent attachés au poteau fatal où l’on donnait les étrivières, et qu’ils en reçussent « quarante coups moins un. » Nous voyons surgir parmi nous une secte de soi-disant philanthropes qui, dans leur grand désir de réformer et d’amender les fripons, s’inquiètent peu de livrer les honnêtes gens complètement à leur merci, le tout pour l’avantage spécial de leurs élèves. Quelques-uns de ces réformateurs ont déjà réussi à abattre tous ces poteaux, supprimant ainsi le mode de châtiment le plus prompt et le plus efficace pour un certain genre de délits. Nos enfants sentiront les conséquences de cette fausse philanthropie. Alors, que ceux qui auront des poulaillers, des étables, des basses-cours, des vergers, tout ce qui peut tenter des maraudeurs qui n’en sont qu’à leur début, se tiennent sur leurs gardes, car je crains bien que les déprédations continuelles qu’ils auront à subir ne soient une protestation tardive contre ces belles théories. Un seul de ces poteaux redoutés ferait plus pour réformer tout un quartier que cent prisons avec leurs vingt et trente jours d’emprisonnement. Je suis tout aussi porté que qui que ce soit à travailler à la réforme des criminels, mais à la condition que les garanties dont la société a besoin seront maintenues avant tout. C’est là le grand but de la législation ; et la sûreté publique ne doit pas être sacrifiée à l’intérêt des coupables. Que les personnes, le caractère privé et les propriétés soient d’abord garantis par des mesures de répression suffisantes ; et alors libre à vous de faire toutes les expériences que votre philanthropie pourra vous suggérer[1]. Mais rentrons dans la salle d’audience, et écoutons le juge.

  1. M. Mordaunt Littlepage écrit ici avec une vérité prophétique. Les petites déprédations de cette nature sont devenues si fréquentes, que c’est à peine si l’on songe maintenant à recourir à la justice. Au lieu de ce châtiment prompt et efficace qu’administraient nos pères, la loi, pour les plus simples délits, est entourée de tant de lenteurs, de tant de formalités, qu’il faut souvent des années pour que le plus petit maraudeur soit jugé, s’il a pu se procurer quelque argent pour payer un avocat.