Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/206

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reparut, toute son attention parut se concentrer sur le groupe qui approchait, et qui se composait de trois de ses fils et de Susquesus. Ces jeunes braves avaient en effet atteint l’Onondago, et ils le ramenaient désarmé pour recevoir les ordres de leur père. Malgré tout ce que je savais de cet homme et de son caractère il y avait quelque chose d’imposant dans la manière dont il attendait l’arrivée de ses fils et de leur prisonnier. Accoutumé à exercer une autorité presque absolue dans sa famille, le vieillard avait acquis quelque chose de cette dignité que donne l’habitude du commandement ; et toute sa progéniture, grande et petite, mâle et femelle, n’avait pas beaucoup gagné sous le rapport de l’indépendance, en secouant le joug régulier de la société pour vivre sous la règle de ce patriarche. À cet égard ils ressemblaient assez aux masses qui, dans leur amour aveugle de la liberté, rejettent impatiemment le frein salutaire des lois pour se soumettre à la dictature injuste et intéressée de démagogues. S’il y avait quelque différence entre les deux gouvernements, c’était en faveur de celui du squatter, dont l’absolutisme était du moins tempéré par la bienveillance du père de famille.

Il est si difficile de juger à l’extérieur de ce qui se passe dans l’esprit d’un Indien, que je ne fus pas surpris de ne voir aucune trace d’émotion sur la figure de l’Onondago quand il approcha de nous. Il était aussi calme, aussi tranquille que s’il était venu visiter des amis. On l’avait garrotté, dans la crainte qu’il ne cherchât à si échapper à la faveur de quelques taillis épais par lesquels il fallait passer ; mais ses liens ne semblaient lui faire éprouver aucune souffrance, ni morale, ni physique. Le vieux Mille-Acres avait un aspect rude ; mais il connaissait trop bien le caractère indien, et cette mémoire tenace qui n’oublie jamais ni un service ni un outrage, pour se porter à des rigueurs inutiles qui n’auraient eu d’autre effet que d’aigrir encore davantage son prisonnier.

— Sans-Traces, dit-il avec calme, vous êtes un vieux guerrier, et vous devez savoir que dans les moments de troubles chacun doit songer à sa sûreté. Je suis charmé que les garçons n’aient pas été obligés de recourir à des moyens extrêmes ; mais vous devez sentir que nous ne pouvons vous permettre d’aller