Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/24

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Jaap était revenu avec moi, et il y avait tout un bataillon de petits Satanstoes — c’était son nom de famille — qui se cramponnaient de tous les côtés aux jambes de leur grand-papa. À dire le vrai, il s’écoula bien vingt-quatre heures avant que le calme se rétablît complètement.

Après les premiers moments donnés à ma mère, je fis seller mon cheval pour aller à Satanstoe embrasser ma grand’mère, qu’on n’avait jamais pu décider à venir habiter Lilacsbush. Le général — car c’était ainsi que tout le monde appelait mon père — ne m’accompagna pas, parce qu’il était revenu la veille même de Satanstoe ; mais Catherine vint avec moi. Comme les routes avaient été mal entretenues pendant la guerre, et que Catherine était une excellente écuyère, elle monta à cheval comme moi. Jaap, qui n’était plus guère qu’un serviteur émérite, ne faisant que ce qui lui plaisait, et chargé seulement des missions de confiance, fut envoyé une heure ou deux avant nous pour annoncer à mistress Littlepage les convives qui lui arrivaient inopinément.

J’ai entendu dire qu’il y a des parties du monde où l’on est tellement sur le pied de la cérémonie, que les plus proches parents craindraient de prendre entre eux de pareilles libertés. Le fils n’oserait se permettre de se présenter chez son père au moment du dîner sans une invitation formelle ! Dieu soit loué ! Nous n’en sommes pas encore venus, en Amérique, à ce point de raffinement. Quel est le père ou le grand-père qui, chez nous, ne recevrait pas un de ses enfants les bras ouverts et le sourire sur les lèvres, à quelque moment qu’il se présentât ? La place manque à table ? on serre un peu les chaises, et tout est dit. Le dîner n’est pas convenable ? on en rit, et voilà tout. Je n’entends pas faire le procès d’une civilisation avancée ; les ignorants, les provinciaux n’y sont que trop portés ; je sais trop bien que la plupart des usages qu’elle impose sont fondés sur la raison ; mais, après tout, la nature a aussi ses droits, et il faut savoir les maintenir hardiment, quand ils semblent attaqués.

Ce fut par une belle matinée du mois de mai, à neuf heures, que Catherine et moi nous franchîmes le seuil de Lilacsbush pour prendre la route bien connue de Kingsbridge. Kingsbridge, le