Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/250

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-Acres. Je suis sûr que du moins il nous dépêcherait un messager, afin que nous eussions tout le temps de déguerpir.

— Et alors, adieu les planches qui sont déjà sur l’eau ! adieu tous les bois qui sont préparés ! Songez donc qu’il n’y en a pas un morceau que je n’aie arrosé de mes sueurs ! Ah ! on ne me les enlèvera pas impunément, et je saurai bien les défendre !

Il était étonnant qu’un homme qui attachait tant de prix à ce qu’il regardait comme sa propriété fit si bon marché de celle des autres. En cela, Tobit ne faisait qu’obéir aux mauvais instincts de notre nature, qui nous font envisager la même question sous des points de vue tout différents, suivant notre intérêt.

— Et moi, rien au monde ne me fera abandonner mes bois et ma clairière ! s’écria Mille-Acres avec énergie. Nous avons combattu contre le roi George pour la liberté ; pourquoi ne nous battrions-nous pas pour notre bien ? Et que nous servirait la liberté après tout, si nous nous laissions dépouiller ainsi ?

Tous les fils témoignèrent hautement qu’ils partageaient ces sentiments, et une sorte d’ardeur guerrière se peignit sur tous les visages.

— Mais, père, si nous reprenons ce jeune insolent, qu’en ferons-nous ? demanda Zéphane. — Je redoublai d’attention ; car la question était d’un certain intérêt pour moi. — Nous ne pourrons le retenir longtemps sans que sa disparition fasse du bruit, et tôt ou tard nous en pâtirons. Nous avons beau avoir un droit incontestable sur l’ouvrage de nos mains ; nous ne pouvons nous dissimuler que le pays n’est pas favorablement disposé pour les squatters.

— Je me soucie bien du pays ! répondit fièrement Mille-Acres. S’il a besoin du jeune Littlepage, qu’il vienne le chercher, et il trouvera à qui parler. Pour moi, je déclare que si cet écervelé retombe entre mes mains, il n’en sortira vivant qu’à la condition de me faire la cession en bonne forme de deux cents acres de terres et du moulin, et de me donner quittance de tout le passé. Voila mes deux conditions, et je n’en démordrai pas.

À cette déclaration positive succéda une longue pause, et je craignis que le bruit étouffé de ma respiration ne finît par se