Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit que la possession. Sans toutes vos inventions d’actes et de titres écrits, je ne serais pas étendu ici ; prêt à rendre le dernier soupir.

— Oubliez tout cela, mon homme, oubliez tout cela, comme doit le faire un bon chrétien, répondit Prudence à cette apostrophe caractéristique, dans laquelle le squatter fermait si complètement les yeux sur ses propres fautes, disposé qu’il était à rejeter tous les torts sur les autres. C’est la loi de Dieu de pardonner à vos ennemis, Aaron. Allons, il faut pardonner au porte-chaîne, et ne point partir pour le monde des esprits avec du fiel dans le cœur.

— Mille-Acres ferait bien mieux, Prudence, de demander à Dieu de lui pardonner à lui-même, dit André. Ce n’est pas que je dédaigne le pardon de qui que ce soit. Je puis très-bien avoir dit ou fait quelque chose qui ait pu blesser votre mari ; car nous sommes rudes et grossiers, et nous avons notre franc-parler dans les bois. Que Mille-Acres me pardonne, soit ! j’accepte son pardon, je l’accepte avec plaisir, et je lui donne le mien en échange.

Un profond gémissement sortit de la vaste poitrine du squatter. Ce me parut être une sorte d’aveu qu’il était le meurtrier d’André.

— Oui, ajouta le porte-chaîne, grâce à Ursule…

— Me voici, mon oncle ! s’écria Ursule, trop émue pour savoir ce qu’elle disait.

— Oui, oui, chère nièce, c’est votre ouvrage. Dans tous les temps, vous n’avez jamais oublié d’enseigner à un pauvre vieillard son devoir.

— Oh ! mon oncle, ce n’est pas moi, c’est Dieu, dans sa merci, qui a éclairé votre esprit et touché votre cœur.

— Oui, chère enfant, je comprends encore cela : Dieu, dans sa merci, a envoyé un ange sur la terre pour être son ministre auprès d’un pauvre Hollandais bien ignorant qui ne saurait pas le peu qu’il sait sans votre aide, et qui vous doit toutes les consolations qu’il goûte en ce moment. Non, non, Mille-Acres, je ne rejetterai pas votre pardon, quelque peu que vous ayez à pardonner ; car il n’y a rien qui soulage le cœur, quand on sent qu’on va partir, comme de savoir qu’on ne laisse aucun ennemi derrière soi. On dit qu’on ne doit pas faire fi de l’amitié même d’un chien ;