Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/44

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que je nourrissais quelques petites appréhensions à cause des opinions politiques de Tom ; les voilà heureusement dissipées, et je n’ai plus le moindre sujet d’inquiétude.

— Comment pouviez-vous attacher tant d’importance à mon sentiment, lorsque Kate a un père, une mère, une grand’mère qui tous, si je ne me trompe, approuvent son choix ?

— Ah ! monsieur Littlepage, vous ne connaissez donc pas toute votre influence dans la famille ? Eh bien, alors, j’en sais plus que vous. Père, mère, sœur et grand-mère, tous parlent de M. Mordaunt de la même manière. À entendre le général raconter quelque incident de la guerre, on croirait que c’était lui qui commandait une compagnie, et que le capitaine Littlepage commandait le régiment. Mistress Littlepage ne voit que par les yeux de Mordaunt, ne connaît que le goût de Mordaunt, même pour tout ce qui tient au ménage. Kate a toujours le nom de son frère à la bouche : mon frère dit ceci, mon frère écrit cela…, et votre bonne grand’mère croirait que ses pêches et ses cerises auraient peine à mûrir, si Mordaunt Littlepage, le fils de son Corny, n’était pas sur la terre pour y faire luire un éternel soleil !

Tout cela fut dit sans prétention, avec enjouement. C’était à en perdre la tête.

— C’est tracer de main de maître un portrait de fantaisie sur les faibles d’une famille, miss Bayard, et je ne l’oublierai pas de si tôt. Ce qui le rend encore plus piquant, et ce qui doit faire son succès dans le monde, c’est la circonstance que Mordaunt mérite si peu l’extrême déférence qu’il semblerait qu’on a pour lui.

— Le dernier trait ne fait nullement partie de mon tableau, major, et je le désavoue. Pour ce qui est du monde, il n’en saura jamais rien. Vous et moi, nous ne sommes pas le monde ; et nous ne serons jamais le monde l’un pour l’autre ; c’est ce qui explique ma franchise, quoique notre connaissance soit si récente. Vous comprenez maintenant pourquoi Tom attache tant de prix à votre estime : c’est que votre sœur ne l’épouserait pas, si votre jugement n’était pas favorable.

— Et autrement, elle l’épouserait ?

— Ce n’est pas à moi qu’il appartient de répondre. Mais nous n’avons pas besoin de poursuivre ce sujet ; je suis tranquille, à