Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/236

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conscience de sa supériorité sur un esclave domestique. Je n’avais jamais vu Susquesus en si grand costume que dans cette soirée. Habituellement il portait les vêtements Indiens ordinaires, mais je ne l’avais pas vu avec ses ornements et sa peinture. Les premiers consistaient en deux médailles, à l’effigie de George III et de son grand-père, de deux autres que lui avaient données les agents de la république ; d’anneaux à ses oreilles, si grands qu’ils tombaient presque sur l’épaule, et de bracelets formés avec les dents de quelque animal, que j’avais pris d’abord pour des dents d’hommes. À sa ceinture étaient un tomahawk brillant et un couteau dans sa gaine, tandis que le fusil bien éprouvé était debout contre un arbre ; toutes ces armes semblaient produites comme autant d’emblèmes du passé, le vieillard ne pouvant guère à cette heure s’en servir utilement. Susquesus avait employé la peinture avec un goût peu ordinaire chez un Indien, ayant simplement donné à ses joues une teinte légère, qui servait à rehausser l’éclat de ses yeux autrefois si brillants, maintenant obscurcis par l’âge. Sous les autres rapports, rien n’était changé dans la simplicité ordinaire qui régnait au dehors et au dedans de la cabane, quoique Jaaf eût produit au soleil un vieil habit de livrée qu’il avait autrefois porté et un tricorne qu’il avait l’habitude de mettre les dimanches et jours de fête, le tout pour montrer la supériorité d’un nègre sur un Indien.

Trois ou quatre bancs grossiers, appartenant à l’établissement, avaient été placés en demi-cercle, à quelque distance devant Susquesus, pour la réception de ses hôtes. Ce fut donc vers ces bancs que Feu-de-la-Prairie se dirigea, suivi des autres chefs. Quoiqu’ils se fussent rangés promptement en cercle, ils restèrent plus d’une minute sans s’asseoir. Tous contemplaient avec attention, mais avec respect le vénérable vieillard, qui soutenait leurs regards avec une attention et une gravité égales. Enfin à un signe de Feu-de-la-Prairie, chacun prit son siège. Ce changement de position toutefois n’interrompit point le silence ; pendant dix minutes ils restèrent ainsi, regardant l’Intègre-Onondago, qui de son côté tenait ses yeux fixés sur ses frères. Ce fut pendant cet intervalle du silence qu’arriva la voiture de ma grand’mère, qui s’arrêta juste en dehors du cercle des Indiens graves et attentifs ; pas un d’eux ne tourna la tête pour savoir d’où venait cette interruption. Personne ne disait un mot : ma chère grand’mère contemplait avec une profonde attention cette scène intéressante, tandis que toutes les