qu’à un certain point, de se fier à la fortune, et il continuait d’avancer, Roswell le suivant toujours de près.
Les premières heures de cette nuit terrible se passèrent dans une obscurité profonde.
Cependant, Dagget se dirigeait vers la chaîne de montagnes sans prendre d’autres précautions que de diminuer de voiles et d’exercer une surveillance active. Toutes les cinq minutes, on entendait retentir ces mots du haut du gaillard d’arrière : « Ouvrez l’œil devant ! » Aucun homme ne quittait le pont. L’anxiété était trop vive pour qu’il en fût autrement, le dernier homme d’équipage sachant que les vingt-quatre heures qui allaient suivre décideraient, suivant toute probabilité, du sort du voyage.
Dagget et Gardiner devenaient de plus en plus inquiets au moment où la lune devait se lever, sans que l’astre des nuits eût encore paru. Quelques nuages traversaient le ciel, quoique les étoiles brillassent comme de coutume d’un éclat moins grand, mais sublime. Il ne faisait pas si sombre qu’on ne pût distinguer les objets à une distance considérable ; et les équipages des schooners découvraient très-distinctement, et à une distance peu éloignée, une chaîne de montagnes flottantes. La nature alpestre n’aurait pu offrir des formes plus arrêtées et en même temps plus fantastiques.
Quand ces montagnes de glaces rompent leurs amarres[1], elles ont quelque chose de régulier : leurs sommets ressemblent à ces caps qui se terminent en forme de table. Cette régularité de forme disparaît bientôt cependant sous l’influence des rayons du soleil d’été, du fouettement des eaux, et surtout des torrents intérieurs qui s’épanchent de leurs flancs glacés. Un navigateur distingué de notre époque a comparé ces montagnes, lorsqu’elles ont perdu leur régularité de forme et qu’elles commencent à prendre une apparence fantastique, ce qui arrive toujours, à une ville déserte bâtie en albâtre le plus pur, dont les édifices croulent sous l’action du temps, avec ses rues innombrables, ses ave-
- ↑ Quand elles se détachent.