Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 29, 1852.djvu/46

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ne font pas de difficulté de manger à la même table ; mais Bob, qui s’était fait à bord la réputation d’un excellent mangeur, ce qui l’exposait même parfois à quelques quolibets, avoua que cette fois il n’avait point d’appétit. Aussi le repas ne dura-t-il pas longtemps, et fit-il place à une conversation approfondie sur leur position actuelle.

— Et croyez-vous possible, Bob, demanda tout à coup Marc après beaucoup d’autres paroles échangées entre eux, qu’à nous deux nous puissions gouverner le bâtiment, si nous parvenions jamais à le remettre en pleine mer ?

— C’est ce qui demande réflexion, monsieur Woolston, répondit Bob. Nous sommes robustes tous les deux, et la santé ne nous manque pas plus que le courage. Mais il y a loin d’ici à la côte d’Amérique, et ce n’est qu’à la côte que nous pourrons nous dire sauvés. Le vieux Rancocus est ici à un ancrage dont il ne démordra pas sans peine. Mais ce n’est pas ce qui doit nous occuper pour le moment.

— Comment donc ? Mais il me semble que c’est la question capitale. Une fois dehors, nous aurions la chance de faire quelque rencontre sur mer.

— Oui, une fois dehors. C’est là le hic, monsieur Woolston. C’est que je crains que nous ne soyons jamais dehors !

— Vous pensez donc que nous sommes enfermés ici à tout jamais ?

— Eh bien oui, monsieur Woolston, et je ne vois pas pourquoi j’en ferais mystère. Voyez-vous, le pauvre capitaine Crutchely serait ici avec tout l’équipage, comme nous étions il y a vingt-quatre heures, qu’il perdrait son latin. Malgré toute sa rhétorique, le pauvre Rancocus resterait où il est.

— Je suis fâché de vous entendre parler ainsi, répondit Marc d’un air sombre, d’autant plus fâché que c’est aussi mon opinion.

— Les hommes sont des hommes, Monsieur, et l’on n’en peut tirer que ce dont ils sont capables. Allez j’ai bien considéré ces récifs quand j’étais là-haut, et c’est ce que j’appelle une affaire