Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/147

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parti, et comme la nuit s’avance, il faut profiter d’un moment de grâce pour songer à vous mettre en sûreté.

— Ne craignez pas pour moi, Alix, répondit le pilote avec fierté, en essayant de sourire ; et cependant j’avoue que ce mouvement ne me plaît pas. Comment l’appelez-vous ? Ce Dillon, je crois, est un mignon du roi George ?

— Il est ce que vous n’êtes pas, John, un fidèle et loyal sujet de son souverain ; et quoiqu’il soit né dans une des colonies révoltées, il n’a pris aucune part à leur crime, et il a conservé sa vertu sans tache au milieu de la corruption et des tentations qui l’environnaient.

— Un Américain ! un ennemi de la liberté de l’espèce humaine ! De par le ciel ! qu’il prenne garde que je ne le rencontre ; car, si mon bras peut l’atteindre, son châtiment apprendra au monde à connaître un traître !

— Le monde n’en connaît-il pas déjà un en vous, John ? ne respirez-vous pas en ce moment l’air de votre patrie ? n’y êtes-vous pas revenu méditant contre son bonheur et sa tranquillité des projets plus noirs que la nuit pendant laquelle vous cherchiez à les exécuter ?

Un éclair de fierté, de colère et de ressentiment jaillit des yeux du pilote ; il tressaillit d’émotion ; mais sa voix resta ferme et calme.

— Osez-vous bien, lui dit-il, comparer sa trahison inspirée par l’égoïsme et la lâcheté, et n’ayant pour but que d’agrandir le pouvoir de quelques individus aux dépens de plusieurs millions de ses semblables, à l’ardeur généreuse d’un homme qui combat pour la défense de la liberté ? Je pourrais vous dire que j’ai pris les armes pour la cause de mes concitoyens ; car quoique l’Océan nous sépare, nous sommes les enfants des mêmes pères, et la main qui opprime l’un commet une injustice envers l’autre. Mais je dédaigne une apologie fondée sur des motifs si étroits. Né sur le globe terrestre, je suis citoyen de l’univers ; un homme dont l’âme ne peut être limitée par les bornes placées par les tyrans et leurs satellites soudoyés, un homme qui a le droit comme le désir de lutter contre l’oppression, sous quelque nom qu’on l’exerce, et sous quelque spécieux prétexte qu’elle réclame le droit de tyranniser l’espèce humaine.

— Ah ! John ! l’esprit de rébellion peut faire que ce langage