Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/20

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Une émotion extraordinaire parut faire tressaillir le jeune étranger quand il s’entendit adresser cette question, et il se détourna involontairement comme pour cacher ses traits.

— Je crois, répondit-il d’une voix presque inintelligible, que ce sont les eaux de l’Océan Germanique.

— Vraiment ? répliqua le lieutenant ; il faut que vous ayez consacré une bonne partie de votre vie à l’étude de la géographie pour avoir acquis des connaissances si profondes ! Peut-être votre science ira-t-elle jusqu’à me dire combien de temps nous vous garderons si je vous fais prisonnier pour jouir des avantages de votre esprit.

Le jeune homme auquel cette question alarmante était adressée n’y fit aucune réponse ; mais il se détourna, et se cacha le visage entre ses deux mains. Le marin, croyant avoir produit sur son esprit une impression de frayeur salutaire, allait reprendre son interrogatoire ; mais l’agitation singulière dont l’étranger semblait saisi causa au lieutenant une surprise qui lui fit garder le silence quelques instants, et elle devint plus grande quand il s’aperçut que ce qu’il avait pris pour un indice de frayeur n’était autre chose qu’un violent effort que faisait ce jeune inconnu pour réprimer une envie de rire.

— De par toutes les baleines qui sont dans la mer ! s’écria-t-il, votre gaieté est hors de saison, jeune homme. C’est bien assez d’avoir ordre de jeter l’ancre dans une baie comme celle-ci, avec une tempête qui se prépare devant mes yeux, sans débarquer ensuite pour me voir rire au nez par un morveux qui n’aurait pas assez de force pour porter sa barbe s’il en avait, tandis que, par intérêt pour mon âme et pour mon corps, je devrais maintenant songer à prendre le large. Mais je ferai plus ample connaissance avec vous et avec vos railleries en vous emmenant sur mon bord, quand vous devriez rire à m’empêcher de dormir pendant le reste de la croisière.

À ces mots, le commandant du schooner s’approcha de l’étranger avec l’air de vouloir mettre la main sur lui pour le faire prisonnier ; mais celui-ci recula de quelques pas, en s’écriant avec un accent qui annonçait l’envie de rire et en même temps une sorte de frayeur :

— Barnstable ! mon cher Barnstable ! vous ne parlez pas sérieusement.