Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de mépris, après avoir tourné la tête sur ses épaules à droite et à gauche pour voir s’il n’y avait près de lui aucun soldat de marine. Il y avait notre sergent qui devait savoir quelque chose, puisqu’il avait été quatre ans sur mer ; en bien ! il avait le front de soutenir, contre la vérité bien connue de tous ceux qui ont jamais doublé le cap de Bonne-Espérance, qu’on ne rencontrait jamais dans ces parages ce qu’on appelle le croiseur hollandais[1]. Et quand je lui dis qu’il n’était qu’un ignorant, et que je lui demandai s’il était moins possible qu’il existât un pareil navire qu’il ne l’était qu’il y eût des pays où les habitants divisent l’année en deux quarts, six mois pour la nuit et six pour le jour, l’imbécile me rit au nez, et je crois qu’il m’aurait dit que j’en avais menti, sans une petite raison.

— Et quelle était cette raison ? demanda gravement Barnstable.

— Monsieur, répondit Tom en étendant les doigts et en examinant sa large main au peu de clarté qui régnait encore, je suis d’un naturel doux et paisible, mais il ne faut pas qu’on m’échauffe la bile.

— Et avez-vous jamais vu ce croiseur hollandais ?

— Je n’ai jamais doublé le cap de Bonne-Espérance, quoique je sois en état de trouver mon chemin dans le détroit de Le Maire par la nuit la plus noire ; par conséquent je ne puis l’avoir vu ; mais j’ai connu des marins qui l’ont vu et qui lui ont parlé.

— À la bonne heure ; mais il faut que vous deveniez vous-même cette nuit le croiseur yankie, maître Coffin. Faites lancer votre barque à la mer, et armez votre équipage.

Le contre-maître réfléchit un instant avant d’exécuter cet ordre imprévu, et étendant les bras vers la batterie, il demanda avec beaucoup de sang-froid :

— Est-ce pour une besogne de terre, Monsieur ? Prendrons-nous les coutelas et les pistolets, ou nous faut-il les piques ?

— Nous pouvons rencontrer des soldats, dit Barnstable avec un air de réflexion ; prenez les armes ordinaires, et jetez quelques longues piques au fond de la barque. Mais écoutez-moi, Tom-le-Long, songez que je n’y veux ni tonneau ni corde ; car je vois que vous avez déjà le harpon à la main.

  1. Espèce d’apparition ou vaisseau-fantôme qui croise dans ces mers et que la superstition des marins cite souvent.