Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre des blessés, il se trouvait obligé de laisser son schooner chéri à un jeune homme dont les années ne permettaient guère d’attendre de lui l’expérience et l’habileté qu’il avait pourtant déjà véritablement acquises.

Après avoir donné toutes ses instructions au jeune midshipman, il alla encore jeter un regard à la dérobée dans la cabane, à la faveur de la toile à demi soulevée, et il examina de nouveau d’un œil attentif la physionomie de son prisonnier. Les mains de Dillon ne cachaient plus ses traits livides, et comme s’il eût prévu l’examen qu’on allait faire de sa personne, l’expression de son aspect repoussant n’annonçait plus qu’une soumission inspirée par le désespoir. Du moins Barnstable le crut ainsi, et cette idée fit même naître un sentiment de compassion dans l’âme généreuse du jeune marin. Écartant donc de son esprit tous les doutes qu’il avait conçus de l’honneur de son prisonnier, comme étant indignes de tous deux, il l’appela d’une voix enjouée. La physionomie de Dillon, quand il s’entendit appeler pour se rendre à terre, prit une expression qui fit tressaillir Barnstable. Mais cette expression douteuse ne fut pas de longue durée ; et il était si facile de la prendre pour l’effet du plaisir, que le soupçon auquel elle avait donné lieu s’évanouit aussi vite que ce qui l’avait fait naître. Dillon descendit dans la barque, et Barnstable allait l’y suivre, quand il sentit qu’on lui touchait légèrement le bras.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-il à Merry qui lui avait fait ce signal.

— Ne vous fiez pas trop à ce Dillon, Monsieur, lui dit le midshipman avec un air d’inquiétude. Si vous aviez vu sa figure à la lumière comme je l’ai vue pendant qu’il montait de la cabane sur le pont, vous ne lui accorderiez aucune confiance.

— Certainement je n’aurais pas vu une belle figure, dit le généreux lieutenant en riant ; mais vous connaissez Tom-le-Long ; il a les traits aussi durs qu’aucun jeune homme de dix lustres qui se soit jamais baigné dans l’eau salée, et cependant il a le cœur aussi grand, plus grand même que celui d’un kraken[1]. Adieu, je vous souhaite un bon quart, et n’oubliez pas de surveiller la batterie.

En parlant ainsi, Barnstable traversa le plat-bord de son petit

  1. Espèce de polype de mer ou de poisson gigantesque regardé comme fabuleux.