Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/268

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tête. Le boulet, rasant la surface d’une vague, frappa contre un rocher et en détacha des fragments.

— Quand on vise mal du premier coup, dit le contre-maître avec son espèce de philosophie délibérée, c’est signe de bonheur pour l’ennemi qu’on attaque. La fumée rend la vue trouble ; d’ailleurs la nuit est obscure dans ce que vous appelez le quart du matin.

— Ce jeune homme est un miracle pour son âge ! s’écria le lieutenant enchanté. Voyez, Tom, Merry a changé d’ancrage pendant la nuit, et les Anglais ont dirigé leur feu vers l’endroit où ils avaient vu l’Ariel à la chute du jour ; car nous l’avons laissé en ligne directe entre la batterie et cette montagne. Que serions-nous devenus si ce maudit boulet nous eût frappés au flanc dans les œuvres vives ?

— Nous aurions fait connaissance avec la bourbe anglaise, répondit Coffin, et nous y serions restés toute l’éternité, rien n’est plus sûr. Un pareil boulet nous aurait enlevé toute une file de nos préceintes, et ne nous aurait pas même laissé le temps de faire une prière. Abordez par la proue, vous autres !

Il ne faut pas qu’on suppose que pendant cette conversation entre le lieutenant et son contre-maître les rameurs fussent restés dans l’inaction. Au contraire, la vue de leur navire agit sur eux comme un talisman, et croyant alors que les précautions n’étaient plus nécessaires, ils avaient redoublé d’efforts et de courage, et étaient déjà, comme l’indiquaient les derniers mots de Tom, à quelques brasses de l’Ariel. Barnstable était vivement ému ; car après avoir éprouvé un sentiment pénible de crainte, il sentait revivre ses espérances, et ce fut avec une nouvelle confiance qu’il reprit le commandement de son navire.

Il ordonna les manœuvres nécessaires avec ce ton d’autorité calme et ferme, nécessaire aux marins dans les plus grands dangers. Il n’ignorait pas qu’un seul des boulets de gros calibre que les Anglais continuaient à lancer presque au hasard, dans les ténèbres, serait la destruction de l’Ariel s’il frappait dans les œuvres vives, et y faisaient une voie d’eau à laquelle il n’avait nul moyen de remédier. Il donna donc ses ordres avec une connaissance parfaite de la situation critique dans laquelle il se trouvait, et avec ce sang-froid et cette intonation de voix qui devaient l’assurer d’une prompte obéissance. L’équipage leva l’ancre, et réunissant