Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/381

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— Monsieur, lui dit-il enfin, c’est par ordre de M. Gray que j’ai amené ces prisonniers.

— De M. Gray ! répéta le capitaine ; et ses traits perdirent à l’instant leur expression de déplaisir. Eh bien ! Monsieur, courez la même bordée que la frégate, et je vais donner ordre qu’on prépare l’échelle de commandement.

Ce fut avec une surprise manifeste que Boltrope remarqua le changement survenu tout à coup dans le ton du capitaine, et il secoua deux ou trois fois la tête avec l’air d’un homme qui croit pénétrer mieux qu’un autre dans le fond d’un mystère.

— Ministre, dit-il alors, je suppose que, si vous aviez un almanach à la main, vous vous imagineriez pouvoir dire de quel côté le vent soufflera demain ; mais du diable si de meilleurs calculateurs que vous ne s’y sont pas trompés. Quoi ! parce qu’il plaît à un marin d’eau douce… non, c’est un vrai marin, je dois en convenir ; mais parce qu’il plaît à un pilote de dire : Emmenez-moi ces femmes, il faut qu’un vaisseau soit encombré de femelles au point qu’il faudra qu’on perde la moitié de son temps pour apprendre à avoir de belles manières ! Mais faites bien attention à ce que je vais vous dire, ministre, cette escapade coûtera au congrès une année d’appointements du meilleur matelot qui soit à son service, tant il faudra user de toile pour leur faire des abris contre le vent et le soleil, et de cordages pour carguer les voiles, de peur qu’elles n’aient des vapeurs pendant les ouragans.

M. Boltrope ayant été appelé en ce moment pour surveiller la manœuvre du cutter, le chapelain se trouva dispensé d’entrer en discussion avec lui, et de lui déclarer qu’il ne partageait pas son opinion ; car l’amabilité des deux cousines avait déjà prévenu en leur faveur tous les hommes de l’équipage à qui la force de l’habitude n’avait pas donné une espèce de prévention contre tout le sexe.

Quand on eut tourné la proue de l’Alerte vers la frégate, les barques qu’il avait traînées à la remorque pendant une partie de la nuit s’avancèrent entre les deux vaisseaux, et se chargèrent successivement de ceux qui devaient passer de l’un sur l’autre. Une scène de la plus joyeuse gaieté y succéda quand les marins eurent quitté le pont étroit du cutter, et qu’ils se trouvèrent sur le tillac du grand vaisseau. La discipline fut relâchée un moment ; les éclats de rire, les jurements et les plaisanteries grossières par-