Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/48

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prépare tout pour virer de bord. Toutes ces têtes serrées les unes contre les autres disparurent en un instant comme une vague se perd dans l’Océan, et le lieutenant resta seul avec le pilote.

— Monsieur Gray, continua-t-il, ce n’est pas le moment de méditer. Songez à ce que vous avez entrepris, et à ce que nous attendons de vous. N’est-il pas temps de virer de bord ? À quoi rêvez-vous ?

Le pilote appuya la main sur le bras du lieutenant, et le serra avec force.

— Mon rêve est une réalité, monsieur Griffith, lui répondit-il. Vous êtes jeune, je ne suis pas encore dans l’automne de la vie ; mais, quand vous vivriez encore cinquante ans, jamais vous ne verrez ni n’éprouverez ce que j’ai vu et éprouvé dans le court espace de trente-trois.

Fort étonné de cette émotion soudaine dans un pareil moment, le jeune marin ne savait trop que lui répondre ; mais comme son devoir occupait la première place dans ses pensées, il revint sur le sujet qui l’intéressait le plus.

— J’espère, lui dit-il, qu’une grande partie de votre expérience a été acquise sur cette côte, car la frégate va bon train, et la lumière du jour nous a fait apercevoir trop de danger dans ces parages pour que nous fassions les fanfarons pendant les ténèbres. Combien de temps continuerons-nous à marcher dans la même direction ?

Le pilote se retourna lentement, et tout en s’avançant vers le capitaine de la frégate, il lui répondit d’un ton qui annonçait qu’il était agité par des réflexions mélancoliques :

— Tout est donc comme vous le désirez. J’ai passé une grande partie de ma jeunesse sur cette côte dangereuse. Ce qui est pour vous ténèbres et obscurité, est pour moi la lumière du jour en plein midi. Mais virez de bord, Monsieur, virez de bord. Je voudrais voir manœuvrer le vaisseau avant d’arriver à l’endroit où il faut qu’il manœuvre bien, ou que nous périssions.

Griffith le regarda d’un air surpris, tandis qu’il passait au gaillard d’arrière pour y joindre le capitaine ; mais, sortant à l’instant de cette sorte de stupéfaction, il se hâta de donner l’ordre si universellement désiré, et chacun courut à son poste pour travailler à cette manœuvre. Le résultat répondit aux assurances que le