Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/125

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prairie et firent une décharge terrible sur tout ce qui se trouvait devant eux.

— Grand Dieu ! s’écria Lionel, que faites-vous ? Vous tirez sur des hommes qui ne se défendent point, comme s’il n’y avait de loi que la force ! Arrêtez-les, Polwarth, faites cesser le feu.

— Halte ! s’écria Polwarth en brandissant son épée au milieu de sa troupe d’un air menaçant ; rentrez dans l’ordre, ou je vous passe mon épée au travers du corps.

Mais l’ardeur entraînante qui animait les soldats, et que leur marche forcée avait accrue, l’animosité qui couvait sourdement depuis si longtemps entre les troupes et le peuple, ne pouvaient pas se calmer en un instant. Ce ne fut que lorsque Pitcairn lui-même s’élança au milieu d’eux, et que, aidé de ses officiers, il leur fit baisser les armes, que le tumulte s’apaisa graduellement et que l’ordre se rétablit en partie. Avant qu’il y fût parvenu, quelques coups furent tirés au hasard par les provinciaux en fuite ; mais ils ne firent presque aucun mal aux Anglais.

Lorsque le feu eut cessé, les officiers et les soldats se regardèrent quelque temps en silence, comme s’ils eussent prévu déjà une partie des événements terribles qui devaient être la suite de ce premier engagement. La fumée s’élevait lentement de la prairie, et ce voile vaporeux, se mêlant au brouillard du matin, s’étendit sur tout l’horizon, comme pour répandre au loin la funeste nouvelle que l’appel aux armes avait été fait. Tous les yeux étaient fixés avidement sur la prairie fatale, et Lionel éprouva un sentiment d’angoisse inexprimable à la vue de quelques hommes qui, mutilés et couverts de blessures, faisaient d’horribles contorsions, tandis que cinq ou six cadavres étaient étendus sur l’herbe, dans l’effrayante immobilité de la mort.

Ne pouvant supporter ce pénible spectacle, Lionel détourna la tête et revint sur ses pas, tandis que le reste des troupes, alarmées par le bruit des décharges de mousqueterie, accouraient de l’arrière-garde au pas redoublé pour rejoindre leurs camarades. Il s’approcha de l’église sans savoir où il allait, et il ne sortit de la profonde rêverie où il était plongé qu’à la vue aussi subite qu’extraordinaire de Job Pray, qui sortait de l’édifice sacré, et dont les traits égarés annonçaient tout à la fois le ressentiment et la crainte.

L’idiot montra du doigt le cadavre d’un homme qui, ayant été