Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/132

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homme qui connaît parfaitement le pays : on ne fera aucune tentative pour en tirer vengeance ; et quant à obtenir réparation à la manière militaire, la chose est impossible.

— Vous parlez avec une confiance, Monsieur, qui ne peut être justifiée que par une connaissance intime de la faiblesse de ce peuple.

— J’ai demeuré deux ans dans le cœur même du pays, major Lincoln, répondit Polwarth sans détourner ses yeux de la longue route qu’il voyait devant lui ; j’ai été à trois cents milles au-delà des districts habités, et je dois connaître le caractère de la nation, comme j’en connais les ressources. À l’égard de ces dernières, il n’existe dans toute l’étendue de ce pays aucune production alimentaire, depuis le moineau jusqu’au buffle, depuis l’artichaut jusqu’au melon d’eau, qui ne m’ait, de manière ou d’autre, passé par les mains en quelque occasion. Je puis donc parler avec confiance, et je n’hésite pas à dire que les colons ne se battront jamais, et que, quand même ils en auraient la disposition, ils n’ont pas les moyens de faire la guerre.

— Peut-être, Monsieur, dit Lionel avec un peu de vivacité, avez-vous étudié de trop près les règnes animal et végétal de ce pays, pour bien connaître l’esprit de ses habitants.

— Il existe entre eux une relation intime ; dites-moi de quoi un homme se nourrit, et je vous dirai quel est son caractère. Il est moralement impossible que des gens qui mangent leurs poudings avant le dîner, comme c’est l’usage de ces colons, puissent jamais faire de bons soldats ; parce que l’appétit se trouve apaisé avant qu’une nourriture plus succulente soit introduite…

— Assez ! assez ! épargnez-moi le reste ! On n’en a déjà que trop dit pour prouver la supériorité de l’animal européen sur celui de l’Amérique, et votre raisonnement est concluant.

— Il faudra que le parlement fasse quelque chose pour les familles des pauvres diables qui ont péri !

— Le parlement ! répéta Lionel avec emphase et amertume ; oui, nous serons invités à adopter des résolutions pour louer la décision du général et le courage des troupes, et après que nous aurons ajouté toutes les insultes possibles à l’injustice, dans la conviction de notre suprématie imaginaire, nous pourrons accorder aux veuves et aux orphelins quelques misérables secours, qu’on citera comme une preuve de la générosité sans bornes de la nation.