jugeait son affaire d’après les principes de justice que chaque habitant de la colonie connaissait si bien, on trouverait que ses compagnons et lui n’avaient rien fait qui ne fût parfaitement conforme aux lois.
Pendant cette conversation singulière et caractéristique, à laquelle il n’avait pris pari qu’une seule fois, Polwarth s’était occupé très-activement à accélérer les préparatifs du repas.
Lorsque Seth et ceux qui le conduisaient eurent disparu, Lionel jeta un regard à la dérobée sur Job, qui était en apparence spectateur tranquille et indifférent de cette scène, et s’occupa ensuite des hôtes, pour empêcher leur attention de se fixer sur l’idiot dont il craignait que la folie ne trahît la part qu’il avait prise aux événements de la journée. Mais la simplicité de Job déjoua les bonnes intentions du major, car il dit sur-le-champ, sans le moindre symptôme de frayeur :
— Le roi ne peut faire pendre Seth Sage pour avoir tiré, puisque ces infernaux soldats avaient tiré les premiers.
— Maître Salomon, s’écria Mac-Fuse, vous étiez peut-être aussi à vous amuser à Concorde avec quelques amis ?
— Job n’a pas été plus loin que Lexington, et il n’a d’autre ami que la vieille Nab.
— Il faut que tous ces gens-là soient possédés du diable ! Docteurs et hommes de loi, prêtres et pêcheurs, jeunes et vieux, grands et petits, tous nous ont harcelés pendant toute la route, et voilà un hébété qu’il faut ajouter à ce nombre. Je parie que vous avez cherché aussi à commettre quelque meurtre ?
— Meurtre ! À Dieu ne plaise ! Job n’a tué qu’un grenadier, et blessé un officier au bras.
— Entendez-vous cela, major Lincoln ? s’écria Mac-Fuse en se levant avec précipitation ; car, malgré la vivacité de son accent, il était constamment resté assis jusqu’alors. Entendez-vous cette écaille d’huître, cette effigie humaine, oser se vanter d’avoir tué un grenadier ?
— Un peu de modération, Mac-Fuse, dit Lionel en saisissant le capitaine par le bras ; souvenez-vous que nous sommes soldats, et que l’organisation de son cerveau fait qu’il ne peut être responsable de ses actions ? Pas un tribunal ne condamnerait au gibet un être si infortuné, et en général il est aussi doux que l’enfant qui vient de naître.