Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/16

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vingts hivers ; de profondes rides, semblables à des sillons tracés par le temps et de longs soucis, avaient flétri ses joues creuses, et rendaient encore plus remarquables des traits empreints de noblesse et de dignité. Il portait un habit simple et modeste de drap gris, qui paraissait lui avoir rendu d’assez longs services, et qui laissait apercevoir des traces visibles de la négligence de son maître. Quand il détournait du rivage ses regards perçants, il marchait à grands pas sur le gaillard d’arrière, où il était seul, et semblait entièrement occupé de ses propres pensées, ses lèvres s’agitant rapidement, quoique aucun son ne sortît d’une bouche qui était silencieuse par habitude.

Il était sous l’influence d’une de ces impulsions soudaines qui font partager au corps l’activité de l’esprit, quand un jeune homme monta de la cabane sur le tillac, et se rangea parmi les curieux qui avaient les yeux fixés sur la terre. Son âge pouvait être d’environ vingt-cinq ans ; il portait un manteau militaire jeté nonchalamment sur ses épaules, et ce qui paraissait de ses habits annonçait suffisamment que sa profession était celle des armes. Tout son extérieur avait un air d’aisance et de bon ton, quoique sa physionomie expressive parût quelquefois comme obscurcie par un air de mélancolie, pour ne pas dire de tristesse. En arrivant sur le pont, il rencontra les yeux du vieillard infatigable qui continuait à s’y promener ; il le salua poliment, et détourna ensuite les yeux pour les porter sur les côtes, et examiner les beautés qui étaient sur le point de s’éclipser.

Les montagnes rondes de Dorchester brillaient encore des derniers rayons de l’astre qui venait de disparaître derrière elles : des bandes d’une lumière plus pâle jouaient encore sur les eaux, et doraient le sommet verdoyant des groupes d’îles qui se trouvent à l’entrée de la baie. On voyait dans le lointain les clochers de la ville de Boston, s’élançant du sein des ombres qui couvraient la ville, et dont les girouettes étincelaient encore, tandis que quelques rayons d’une plus vive lumière s’échappaient irrégulièrement du sombre fanal élevé sur le pic conique de Beacon-Hill. Plusieurs grands vaisseaux étaient à l’ancre entre les îles et en face de la ville, et devenaient moins distincts de moment en moment, au milieu des vapeurs du soir, quoique le sommet de leurs mâts brillât encore de la clarté du jour ; de chacun de ces vaisseaux, des fortifications qui s’élèvent à peu de hauteur sur