Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/162

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des propriétés ont sensiblement diminué mes revenus ; mais, si ce que je vous donne n’est pas suffisant pour vos besoins les plus pressante, j’y ajouterai une autre couronne.

— Cela suffira, répondit Abigaïl en fermant sa main avec un mouvement presque convulsif. Oui ! oui, cela suffira. Ô Madame ! quelque humiliante et quelque criminelle que soit la cupidité, plût au ciel que cette détestable passion eût été la seule cause de ma ruine !

Lionel crut voir sa tante regarder Abigaïl avec un air d’inquiétude et d’embarras qui lui parut indiquer qu’il existait même entre elles quelques secrets dont l’une ne faisait pas confidence à l’autre, malgré leur étrange intimité ; mais la surprise qu’exprimèrent ses traits fit bientôt place à son air habituel de formalité sévère et de circonspection hautaine. Elle répondit avec un air de froideur, comme si elle eût voulu repousser jusqu’à l’idée qu’elle pût faire l’aveu d’une faute qui leur était commune :

— Cette femme parle comme si elle avait perdu l’esprit. De quelles fautes est-elle coupable, si ce n’est de celles auxquelles la nature humaine est sujette ?

— C’est vrai ! c’est vrai ! dit Abigaïl avec un rire convulsif ; comme vous le dites, c’est notre nature qui est coupable ; mais à mesure que je deviens vieille et infirme, mes nerfs sont irritables, et je m’oublie souvent, Madame. Quand on voit le tombeau si près de soi, cette vue est capable de donner des pensées de repentir, même à des cœurs plus endurcis que le mien.

— Folle que vous êtes ! dit Mrs Lechmere en pâlissant, et pour le cacher elle rabaissa sur sa tête son capuchon, d’une main que la terreur plus que l’âge rendait tremblante ; pourquoi parler ainsi de la mort ? Vous n’êtes encore qu’un enfant.

Elle prononça encore quelques mots, mais sa voix semblait étouffée, et Lionel ne put les entendre. Enfin, après une assez longue pause, elle releva la tête, et, jetant autour d’elle un regard sévère et altier, elle dit à haute voix :

— C’est assez de cette folie, Abigaïl ; je suis venue ici pour apprendre quelque chose de plus de l’homme étrange qui loge chez vous.

— Non ! ce n’en est pas assez, Mrs Lechmere, répondit Abigaïl Prey qui sentait les aiguillons de sa conscience ; il nous reste si peu de temps pour le repentir et la prière, que je crains que nous