Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/165

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raison la retire à son gré ; ce n’est pas moi qui exerce un tel pouvoir.

— Qu’oses-tu dire, Priscilla Lechmere ? s’écria Ralph en faisant trois pas rapides qui lui permirent de lui saisir le bras avec sa main desséchée ; oui, je t’appellerai encore Priscilla, quelque indigne que tu sois de ce nom. Tu prétends n’avoir pas le pouvoir de faire perdre la raison ? Dis-moi donc ce qu’est devenu le chef de ta race si vantée, le riche et respectable baronnet du Devonshire, autrefois l’heureux compagnon des princes, ton neveu Lionel Lincoln ? Est-il dans le château de ses pères ? protège-t-il ses vassaux ? conduit-il les armées de son roi, ou habite-t-il une cellule sombre et solitaire ? Tu sais où il est, tu le sais, femme ! et ce sont tes infâmes manœuvres qui l’y ont conduit !

— Quel est celui qui ose me parler ainsi ? s’écria Mrs Lechmere faisant les derniers efforts pour repousser cette accusation avec mépris ; si vous connaissez véritablement mon infortuné neveu, vous pouvez juger vous-même de la fausseté de cette indigne inculpation.

— Si je le connais ! Demande-moi plutôt ce que je ne connais pas. J’ai en les yeux ouverts sur toi, femme ; j’ai suivi toute ta conduite, et tout ce que tu as fait m’est connu. Et quant à cette autre pécheresse, je sais aussi tout ce qu’elle a fait. Parle, Abigaïl Pray ; ne t’ai-je pas rendu compte de tous tes crimes les plus secrets ?

— Oui ! oui ! s’écria Abigaïl avec une terreur superstitieuse ; il n’est que trop vrai qu’il sait ce que je croyais n’avoir été vu que par l’œil de Dieu.

— Je te connais de même, misérable veuve de John Lechmere, je connais aussi Priscilla ; Ne connais-je donc pas tout ?

— Oui, tout ! s’écria encore Abigaïl.

— Tout ! répéta Mrs Lechmere d’une voix presque éteinte ; et au même instant elle tomba sans connaissance sur sa chaise.

Le vif intérêt qu’il prenait à cette scène ne put empêcher Lionel de courir au secours de sa tante ; mais Abigaïl Pray, qui paraissait habituée jusqu’à un certain point aux discours énergiques de Ralph, l’avait déjà prévenu, et, lorsqu’il entra dans la chambre, il vit qu’elle donnait déjà à Mrs Lechmere les secours ordinaires en pareil cas. Comme elle respirait péniblement, il devint nécessaire de la délacer, et Abigaïl, assurant à Lionel qu’elle