Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

posés d’hommes réunissant toutes les qualités nécessaires au soldat, à l’exception de deux choses qui lui sont indispensables, la discipline et les armes. Lionel entendit prononcer le nom de Warren plus souvent qu’aucun autre dans les cercles militaires de Boston, et c’était toujours avec cette sorte d’amertume qui annonce que l’animosité qu’on a conçue contre un ennemi n’empêche pas qu’on ne le respecte. Warren avait bravé jusqu’au dernier moment la présence des troupes royales, et il avait défendu intrépidement ses principes, même au milieu de leurs baïonnettes. Mais il avait disparu tout à coup, abandonnant sa maison, ses propriétés et une profession lucrative ; et en prenant une part active aux derniers événements de la journée de Lexington, il avait hasardé sans crainte toute sa fortune dans cette crise.

Mais le nom qui possédait en secret le plus grand charme pour l’oreille du jeune major était celui de Putnam, propriétaire cultivateur dans la colonie voisine de Connecticut, et qui, dès que le bruit de l’affaire de Lexington était arrivé jusqu’à lui, avait littéralement abandonné sa charrue, et montant sur un cheval d’un de ses attelages, avait fait une marche forcée de cent milles pour venir se placer au premier rang de ses concitoyens. Quand Lionel entendait le nom de ce brave Américain prononcé à voix basse au milieu de la foule de militaires qui se rendaient aux levers de Gage, une foule de souvenirs doux et mélancoliques, se présentaient à son imagination. Il se rappelait les conversations fréquentes et remplies d’intérêt qu’il avait eues dans son enfance avec son père avant que la raison de sir Lionel Lincoln se fût égarés ; et, dans tous les récits qu’il avait entendus alors des combats sanguinaires livrés aux habitants des forêts, des dangers courus par ceux qui s’enfonçaient dans des solitudes et des déserts où le pied de l’homme civilisé n’avait jamais gravé son empreinte, et même des rencontres avec les animaux sauvages qui régnaient dans les bois, le nom de Putnam avait toujours frappé son oreille ; ce nom était entouré d’une sorte de renommée chevaleresque qu’on obtient rarement dans un siècle éclairé, et qui ne s’accorde jamais sans avoir été méritée.

Les grandes richesses de la famille de Lincoln et les hautes espérances que donnait celui qui devait en être héritier, avaient valu à celui-ci un rang auquel presque personne n’arrivait à cette époque sans l’avoir acheté par de longs et importants services.