Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/191

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quoiqu’il doutât fort que la validité en fût reconnue dans une cour de justice. Le prisonnier fut alors déclaré libre, et il reçut l’avis charitable de s’échapper de la ville, avec le moins de bruit possible, à la faveur du passeport qui lui avait été délivré.

Seth relut encore une fois d’un bout à l’autre et avec la plus grande attention les articles du marché, et il partit alors, bien décidé à les observer et charmé de se tirer à ce prix des mains du grenadier, dont l’air grave et la voix tonnante le glaçaient malgré lui d’une terreur que jamais figure humaine ne lui avait fait éprouver. Après le départ du prisonnier, les deux amis se mirent gaiement à table, riant à gorge déployée du succès de leur brillante invention.

Lionel laissa sortir Seth de la chambre, sans l’arrêter ; mais dès qu’il le vit quitter la maison, le jeune officier, sans dire à personne qu’il avait été témoin de la scène qui venait de se passer, le suivit dans la rue, dans l’intention louable de le rassurer encore davantage en s’engageant lui-même à lui représenter à son retour son mobilier intact. Ce n’était pas chose facile que d’atteindre un homme qui gardait depuis longtemps un repos forcé, et qui semblait vouloir goûter dans toute son étendue la douce jouissance de faire un libre usage de ses jambes. Lionel le suivait de loin, espérant toujours qu’il finirait par ralentir le pas, et il s’était déjà vu entraîné de cette manière assez loin dans la ville lorsque Seth rencontra un homme avec lequel il entra sous une arcade qui conduisait dans une cour sombre et étroite. Lionel redoubla aussitôt de vitesse ; et en arrivant dans le passage il vit celui qu’il poursuivait avec tant de constance s’échapper par l’autre entrée de la cour, et au même instant, revenir l’homme qui semblait avoir décidé Seth à changer de route. Lionel s’était arrêté un instant, incertain du parti qu’il devait prendre, lorsque la lueur d’un réverbère éclaira les traits du passant, et il reconnut le chef actif des Caucus (nom qu’on donnait à l’assemblée politique à laquelle il avait assisté), mais si bien déguisé et si complètement enveloppé dans son manteau, que si le hasard ne le lui eût pas fait entrouvrir, il aurait pu passer auprès de son plus intime ami sans en être reconnu.

— Nous nous retrouvons encore ! s’écria Lionel dans le premier mouvement de surprise, quoiqu’il paraisse que le soleil ne doive jamais éclairer nos entrevues.